Science

Le paradoxe de Fermi : Où sont-ils tous ?

En 1950, dans la cafétéria du laboratoire de For Amos, Enrico Fermi, Edward Teller, Emil Konopinski et Herbert York discutent des étoiles et de la probabilité d’une vie extraterrestre. Les quatre physiciens débattent jusqu’au moment où le premier pose la question qui deviendra le paradoxe de Fermi : « S’il y avait des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient être déjà chez nous. Où sont-ils tous ? ». Depuis les années 1950, de nombreuses hypothèses ont été proposées pour élucider cette affaire.

Le paradoxe de Fermi : Où sont-ils tous ? - Le blog du hérisson
©Greg Rakozy

Des nombres astronomiques

Pour se rendre compte des possibilités qui s’offrent à nous, nous allons plonger dans l’immensément grand et l’extra ordinairement ancien. Notre sujet n’est ni plus ni moins que l’univers. Les proportions de grandeur et de temps peuvent être difficiles à appréhender à notre échelle, alors laissez-vous guider.

• L’immensité de l’univers

Essayons de nous représenter le maelstrom d’objets cosmiques qui nous entourent. Revoyons les bases : les étoiles et les planètes forment des systèmes, qui rassemblés forment les galaxies. Le système solaire, d’où j’écris ces lignes, se situe dans la Voie Lactée. Les chercheurs estiment que notre galaxie est formée de 100 à 400 milliards d’étoiles. Bien que ce nombre puisse paraître impressionnant, elle est loin d’être la plus imposante. Nous sommes même plutôt peu nombreux en comparaison avec la galaxie d’Andromède, et ses quelques 1000 milliards d’étoiles.

Si nous souhaitons estimer le nombre de planètes dans l’univers observable, nous en avons les outils. Les photographies du champ profond de Hubble prisent en 1995 permettent d’estimer qu’il existe 250 milliards de galaxies dans la partie visible de l’univers. Ces calculs deviennent de plus en plus précis grâce aux avancées de la photographie spatiale. En 2022, nous avons reçu de nouvelles photographies du télescope spatial James Webb. Ces clichés nous permettent non seulement de voir l’espace d’un nouvel œil, mais aussi de répertorier toujours plus de nouvelles galaxies.

En combinant le total de galaxies et le nombre d’étoiles présentes dans chacune d’entre d’elles, il existerait 200 000 milliards de milliards d’étoiles dans l’univers, soit 2 x 1023 étoiles. Difficile à imaginer, non ? Pour trouver une comparaison plus explicite, on estime que c’est à peu près égal au nombre de grains de sable sur terre.

Mais si nous cherchons de la vie, il nous faut une planète sur laquelle la trouver. Nous avons prouvé depuis 1992 que les exoplanètes – soit les planètes en dehors de notre système solaire – existent. Stephen Webb, professeur à l’université de Portsmouth en Angleterre, nous indique qu’il existerait au moins 100 milliards de planètes dans notre galaxie. De quoi avoir le vertige. Quelles seraient donc les chances d’être seuls dans l’univers, tout en étant aussi bien entouré ?

Le paradoxe de Fermi : Où sont-ils tous ? - Le blog du hérisson
Télescope spatial Hubble ©NASA

• La Terre est jeune

Bien qu’elle ait 4,5 milliards d’années, la Terre est jeune lorsque nous la comparons à l’âge de l’univers estimé à 13,8 milliards d’années. Pour comparer avec l’apparition de notre civilisation « moderne », faisons un petit exercice. Admettons que l’existence entière de l’univers tienne sur une année, de sa naissance à aujourd’hui. Les humains seraient nés à 23 h 48 le 31 décembre. Notre civilisation telle que nous la connaissons serait présente depuis à peine quelques secondes.

Mais que se passerait-il si une planète, née il y a 6 milliards d’années, avait eu le même développement que nous ? Cette différence nous revient à imaginer à quoi ressemblerait notre civilisation dans 1,5 milliards d’années. Le résultat est sans appel, c’est impossible. D’autant plus que les avancées technologiques ont tendance à évoluer de plus en plus vite. Amenez à notre époque une personne venant du VIIIe siècle, ce qui est paradoxalement très proche, et le choc culturel et technologique sera total. Notre quotidien ne ressemblerait à rien de ce qu’elle a connu.

“Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie”, Arthur C. Clarke

Cette fameuse civilisation ayant bénéficié de quelques années supplémentaires pour se développer devrait être visible et omniprésente dans la galaxie. En effet, les chercheurs ont estimé qu’à un niveau technologique permettant de voyager entre les systèmes, il faudrait moins d’un million d’années pour coloniser la galaxie. Cette technologie peut facilement s’imaginer pour une civilisation ayant quelques milliards d’années d’avance. Compte tenu des échelles de temps que nous avons vu précédemment, un million d’années paraît ridiculement court. Ces voyageurs pourraient même avoir été présents avant que notre Terre ne développe la vie. Alors pourquoi n’avons-nous aucun signe, aucun signal jusqu’à aujourd’hui ?

Seuls dans l’univers

Selon notre première hypothèse, nous ne voyons rien parce qu’il n’y a rien à voir. Aucun signal n’a été perçu car il n’y a personne d’autre dans notre galaxie. Nous serions seuls dans l’univers. Les particularités de notre planète et de l’apparition de la vie seraient extrêmement spécifiques. Il serait très peu probable qu’elles se soient produites ailleurs. Bien que pessimiste, cette hypothèse permet de se rendre compte de l’immense chance que nous avons eu pour arriver à notre développement actuel.

• Une planète rarissime

On estime qu’il faut au minimum huit conditions à une planète pour accueillir la vie :

  • une étoile stable sur plusieurs milliards d’années ;
  • une planète rocheuse et non gazeuse ;
  • la présence d’eau en tant que berceau de la vie ;
  • une distance parfaite avec son étoile pour que l’eau puisse être liquide ;
  • un champ magnétique pour protéger la planète des radiations de son étoile ;
  • une vitesse d’orbite permettant une température homogène à sa surface ;
  • des planètes protectrices afin de dévier les objets à destination de cette planète ;
  • un satellite naturel – une lune – qui stabilise son axe de rotation ;
  • un climat stable sur plusieurs milliards d’années pour assurer le développement de la vie.

Nous avons maintenant une planète suffisamment hospitalière pour accueillir ses premiers habitants. Tous ces phénomènes connus orientent actuellement les scientifiques lors de la recherche d’exoplanètes pouvant accueillir des êtres vivants.

Le paradoxe de Fermi : Où sont-ils tous ? - Le blog du hérisson
Représentation artistique des zones habitables (en vert) du système TRAPPIST-1 et de notre système solaire ©NASA / JPL-Caltech

• La singularité de la vie

Penchons-nous à présent sur la vie en elle-même. Son origine est encore incertaine aujourd’hui. Cependant, les chercheurs estiment qu’il a fallu plusieurs étapes successives pour que notre espèce se développe en société technologique :

  • l’abiogenèse, soit l’apparition de la vie à partir de matière inanimée ;
  • l’émergence de vie cellulaire ;
  • le développement de la photosynthèse permettant aux organismes d’utiliser l’énergie solaire ;
  • l’arrivée de cellules eucaryotes composées d’un noyau ;
  • la formation d’organismes multicellulaires composés de plusieurs cellules qui coopèrent ;
  • l’évolution vers des animaux intelligents ;
  • l’utilisation d’outils et le développement technologique.

Toutes ces étapes ont différentes probabilités d’apparaître tout au long du développement de la vie ou d’une espèce. Ces rares mutations ont permis d’évoluer au stade où nous en sommes aujourd’hui. Se rendre compte du caractère extraordinaire de chacune d’entre elles nous renvoie à notre question initiale : Quelles sont les chances pour qu’une autre espèce ait connu un développement similaire, ailleurs dans l’univers ?

Ici deux visions s’opposent : l’hypothèse de la terre rare et le principe de médiocrité. La première hypothèse soutient que l’émergence de la vie cellulaire a demandé tellement de circonstances exceptionnelles qu’elle n’est présente nulle part ailleurs. La seconde vision conclut que la terre est une planète rocheuse banale et qu’il existerait des conditions semblables à de nombreux endroits dans l’univers. Cette seconde hypothèse permet de sortir de la vision centrée sur notre espèce, considérant que nous sommes extraordinaires.

Carl Sagan, scientifique et astronome ayant participé à l’exploration du système solaire et Frank Drake, astronome fondateur du programme SETI, défendent le principe de médiocrité. Les probabilités d’une planète favorable et de l’apparition de la vie ne seraient pas si extraordinaires, ou du moins compensées par l’existence de milliards de planètes dans notre galaxie. Si l’univers fourmille de vie, quelles hypothèses pouvons-nous avancer pour n’avoir eu aucun contact ?

Impossible de communiquer avec les autres civilisations

Cette catégorie d’hypothèses suppose que nous ne sommes pas seuls dans l’univers. Pour des raisons technologiques, il serait impossible de communiquer avec les autres espèces vivantes.

• La difficulté du voyage spatial

Nous entrevoyons à peine les contraintes posées par le fait de voyager entre les planètes. Nous sommes donc encore très loin de nous imaginer celles posées par le voyage entre les systèmes et les galaxies. Les échelles de grandeur à traverser sont immenses, et les ressources demandées le sont tout autant. Bien que notre technologie se développe de plus en plus vite, il peut exister une barrière infranchissable au voyage spatial. Cette limite serait si grande à franchir que les civilisations ayant des millions, ou des milliards d’années d’avance sur nous n’ont pas réussi à la surpasser.

Le paradoxe de Fermi : Où sont-ils tous ? - Le blog du hérisson
Représentation des distances en années-lumière ©Bill Huebner

• L’Évolution est différente de l’exploration

En cherchant des signaux et des visiteurs, nous devons nous recentrer sur ce que nous considérons comme évolué ou intelligent. Certains animaux sont considérés comme intelligents. Nous pouvons penser à l’intelligence sociale des dauphins, ou encore la capacité des corbeaux à utiliser des outils. Cependant, il est très peu probable que nous voyions un jour un dauphin construire un vaisseau capable d’explorer la galaxie ou d’envoyer des signaux à une autre planète. Si elles existent, les civilisations ne trouvent pas utile de communiquer et sont satisfaites de rester sur leur planète.

• Technologiquement différents

La diffusion de la première onde radio a eu lieu il y a environ 100 ans. Nous estimons que les ondes de cette époque ont parcouru approximativement 200 années lumières depuis la terre. Comme vous le voyez sur cette image, cela ne représente que le minuscule point bleu. Le fait même de diffuser ces ondes part du principe que les civilisations potentielles savent les utiliser. Il faudrait donc qu’elles soient au même stade que nous, ou plus avancées technologiquement. Si quelqu’un avait diffusé des ondes radio en direction de la terre au XVIIe siècle, nous n’aurions pas été capable de les interpréter.

Ce raisonnement peut aussi être pris dans le sens inverse. Reprenons notre exemple de civilisation avancée avec, cette fois-ci, seulement un million d’années de différence. La diffusion d’ondes radio peut être si archaïque qu’elle ne prendrait même pas la peine d’essayer de capter ces signaux. Cela renverrait à essayer d’envoyer des signaux de fumée dans l’espace. Il est possible que nous recevions des signaux sous une autre forme, mais que nous n’ayons tout simplement pas encore la technologie pour les interpréter.

Le paradoxe de Fermi : Où sont-ils tous ? - Le blog du hérisson
Représentation des ondes radio diffusées par l’humanité ©Nick Risinger

Un éloignement volontaire selon le paradoxe de Fermi

Ces sociétés peuvent aussi choisir de ne pas nous contacter. Cette catégorie d’hypothèses sous-entend qu’elles savent que l’on existe, mais qu’elles ne voient pas d’intérêt ou choisissent de ne pas nous contacter volontairement.

• Des civilisations autocentrées

La curiosité et la découverte spatiale pourraient être des traits de caractère spécifiquement humains. Notre espèce a toujours été exploratrice et curieuse par nature, mais est-ce le cas de ceux potentiellement présents dans l’univers. Il faut se rendre compte du danger que représente l’exploration spatiale, ainsi que les ressources mises en jeu. Une autre civilisation avec des millions d’années de développement aurait pu décider de mettre ces ressources uniquement à contribution de ces habitants, sans souhaiter les dépenser vers un projet qui n’offre que peu de chances de résultats. Ces civilisations seraient autocentrées, et très peu tournées vers l’extérieur.

Décollage de la fusée Falcon Heavy - Le blog du hérisson
Décollage de la fusée Falcon Heavy ©Bill Jelen

• La réserve naturelle

Mise en avant en science-fiction, cette théorie voudrait que nous soyons laissés volontairement à l’écart avant d’atteindre un stade d’avancement adéquat. Nous serions dans notre réserve naturelle, sur Terre. Une fois ce stade atteint, les modérateurs de la galaxie viendraient à notre rencontre. Si elle est difficile à croire, nous pouvons extrapoler certaines raisons qui pousseraient ces civilisations à nous tenir éloignés. L’une de ces raisons serait le choc technologique et culturel. Nous savons que la culture évolue en même temps que les technologies, notamment de l’information. Si l’on devait nous partager un savoir ou une technologie bien trop en avance sur notre temps, nous pourrions avoir un choc bien plus important qu’un voyageur du XVIIIe siècle venant à notre époque.

• La fourmi et l’autoroute

Les progrès de ces entités pourraient être tels qu’elles ne nous remarquent tout simplement pas. Bien qu’elle ne soit pas une fable de La Fontaine, la comparaison de la fourmi et de l’autoroute est souvent utilisée pour illustrer ce cas. En effet, personne ne fait attention aux fourmis qui vivent aux abords des autoroutes lorsque nous partons en vacances. Il ne nous viendrait pas à l’idée de nous arrêter et de vouloir leur apprendre à parler. En reprenant notre exemple avec deux civilisations ayant quelques milliards d’années de différence, nous pourrions très bien être des fourmis sur le bord de l’autoroute de l’espace. Nos caractéristiques seraient si éloignées qu’il paraîtrait tout simplement inutile de nous accorder de l’attention.

Le paradoxe de Fermi : Où sont-ils tous ? - Le blog du hérisson
Pour les autres civilisations, nous pouvons être comparés à des fourmis ©Prabir Kashyap

Le Grand Filtre

La dernière théorie que nous allons évoquer propose l’existence d’un Grand Filtre. Il s’agirait d’un événement ou d’une période dans le développement de toute civilisation. Ce serait un passage obligatoire, mais aussi fatal. Le mystère qui entoure ce Grand Filtre réside dans cette question : « L’avons-nous passé, ou est-il dans notre futur ? ». En considérant qu’il est dans le passé, l’une des mutations amenant à une société technologique peut être un filtre. Il se peut que la vie ne soit passée du stade de matière inanimée à animée qu’une fois dans tout l’univers. Dans ce cas, nous aurions passé ce défi grâce à une mutation qui n’a que peu de chance d’arriver ailleurs. Pourtant, il existe tout autant de possibilités que ce filtre se situe dans notre futur.

• Les catastrophes naturelles

Lorsque l’on prend en compte la durée de vie des planètes et des systèmes, de nombreux événements de grandes ampleurs peuvent se produire. Ces événements incontrôlés peuvent venir de notre planète elle-même, ou de l’extérieur. Il existe des catastrophes capables de détruire des systèmes entiers.

Voici quelques exemples :

  • Une extinction de masse comme celle connue par nos lointains cousins les dinosaures ;
  • Une supernova qui se traduit par l’explosion d’une étoile ;
  • Des sursauts gamma qui seraient des jets de matière expulsés à une vitesse proche de la lumière, balayant tout sur leur passage.

Notre espèce est passée à travers ces catastrophes jusqu’à aujourd’hui. Nous pouvons même nous protéger de certaines d’entre elles. Bien qu’il existe toujours un risque, notre système solaire se trouve dans un coin relativement calme de l’univers.

Une supernova - Le blog du hérisson
Une supernova correspond à la fin du cycle de vie d’une étoile ©NASA’s Goddard Space Flight Center

• L’effondrement de notre société

En revanche, nous avons un impact sur la direction que prend notre société. En effet, plusieurs facteurs humains peuvent aussi être la cause de cet effondrement. Nous retrouvons :

  • Les guerres ou catastrophes nucléaires ;
  • L’épuisement des ressources de notre planète ;
  • Le scénario dans lequel nous serions détruits par notre propre création (intelligence artificielle, biotechnologie, etc.).

L’horloge de l’apocalypse est un outil mis en place pour alerter sur les dangers que notre société traverse. Ils sont liées :

  • à une guerre nucléaire et aux nouveaux acteurs géopolitiques de celle-ci,
  • au risque de déclenchement d’une catastrophe par incident technique, acte terroriste, ou attaque informatique,
  • au changement climatique,
  • aux hydrocarbures,
  • aux nouvelles technologies (nanotechnologies, biotechnologies, etc.).
Horloge de l'apocalypse - Le blog du hérisson
Horloge de l’apocalypse ©Sky News

Les hypothèses de ce paradoxe n’ont comme limite que notre imagination. Certains pensent que la vie est un phénomène amené par une autre civilisation sur terre, d’autres que les OVNI seraient la preuve qu’une civilisation extraterrestre nous observe.

Nous n’avons pas d’exemples vérifiés de vie ailleurs que sur notre planète. Le paradoxe de Fermi nous permet surtout de nous interroger sur notre propre existence.
Une partie de ces théories, et ce qu’elles impliquent, sont un miroir de nos soucis actuels. Elles mettent en avant notre propre construction de barrières, pouvant nous empêcher d’aller voir plus loin que notre planète.

Nous sommes à un instant charnière de l’humanité. C’est aujourd’hui que nous devons prendre les décisions pour que nos descendants puissent avoir la chance d’explorer notre univers.

Et vous, êtes-vous partants pour le grand voyage ?

Alex Réault

Le dernier humain – Un aperçu du futur lointain

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *