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Malbouffe et mémoire : tout comprendre

La consommation immodérée de junkfood, pendant l’enfance et l’adolescence, a des conséquences importantes et durables sur notre cerveau. Des chercheurs de l’Université de Californie du Sud (USC) démontrent qu’un régime alimentaire gras et sucré, chez les rats juvéniles, provoque des troubles de la mémoire à l’âge adulte. Malbouffe et mémoire : pour tout comprendre, explorons ensemble le fonctionnement du cerveau et les détails de l’expérience de l’USC.

Deux femmes ébahies devant une montagne de nourriture grasse et sucrée type junkfood - Le blog du hérisson

Junkfood et troubles mnésiques : découvrons le fonctionnement de la mémoire et les zones du cerveau associées

► Le mécanisme de la mémoire : comprendre l’essentiel

La mémoire constitue une fonction fondamentale qui nous permet d’acquérir, de retenir et de restituer des informations pour interagir avec notre environnement. Elle englobe nos compétences, nos savoirs et nos souvenirs. Elle est essentielle à la réflexion ainsi qu’à la projection dans l’avenir. C’est la base de notre identité. Il en existe 5 sortes. Chacune implique des structures du cerveau distinctes et interconnectées. Voici les 5 types de mémoire :

  1. De travail : concerne le présent. Elle permet de garder en tête les informations nécessaires à l’exécution d’une tâche au moment même où l’activité est réalisée.
  2. Sémantique : liée au langage et à la connaissance de soi et du monde qui nous entoure. Nous pouvons dire qu’elle est notre encyclopédie personnelle.
  3. Épisodique : se rapporte aux événements vécus, elle est autobiographique. Elle nous permet de nous situer dans le temps et dans l’espace. Grâce à elle, nous pouvons nous projeter vers le futur.
  4.  Procédurale : impliquée dans les automatismes. C’est par son intermédiaire que nous marchons, conduisons, faisons du vélo ou encore jouons d’un instrument, sans avoir à réapprendre à chaque fois.
  5. Perceptive : liée à nos différents sens, c’est elle qui nous permet de retenir des sons, des images, des odeurs, sans même que nous en ayons conscience.

La consommation de nourriture très grasse et très sucrée a un impact direct sur la mémoire épisodique. Les expériences menées montrent que les rats soumis à ce régime de malbouffe ne se souviennent plus de situations déjà vécues. Les animaux ne parviennent pas à fixer dans leurs souvenirs les observations réalisées. Découvrons maintenant sur quelles structures du cerveau reposent les mécanismes de mémorisation.

⏩ Pour comprendre comment l’industrie nous incite à mal nous alimenter, consultez notre article sur les aliments transformés.

► Les zones du cerveau impliquées dans la mémorisation

Dans le cerveau, il n’existe pas un centre de mémorisation, mais bien plusieurs systèmes interconnectés. Ces systèmes se répartissent dans différentes zones et sont associés à un ou plusieurs types de mémoire :

  • la rétention d’informations à court terme mobilise essentiellement le cortex préfrontal ;
  • la conservation des connaissances générales fait intervenir différentes régions : le cortex temporal externe et le cortex préfrontal ;
  • la remémoration des événements vécus repose en grande partie sur l’hippocampe et l’amygdale, mais également sur le cortex pariétal et le lobe préfrontal ;
  • l’automatisation des savoir-faire engage le cervelet ainsi que les noyaux gris centraux ;
  • l’enregistrement des perceptions implique le lobe préfrontal et les aires sensorielles du néocortex.

Au centre de ces systèmes, l’hippocampe joue le rôle de chef d’orchestre. Non seulement il permet de traiter et de récupérer les informations de la mémoire épisodique, mais il est également le lieu de la transformation des souvenirs à court terme en souvenirs à long terme. Il intervient aussi dans le processus de mémorisation sémantique. Les performances de l’hippocampe sont particulièrement affectées lors d’un régime à base de junkfood. Intéressons-nous alors à cette structure essentielle du cerveau et à son fonctionnement.

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► L’hippocampe : zoom sur une structure fondamentale pour la mémorisation

Lhippocampe est localisé dans le lobe temporal du cortex cérébral. Il doit son nom à sa ressemblance avec le cheval de mer, animal marin éponyme. Il est composé de différents sous-champs possédant chacun leurs caractéristiques propres. Ces sous-champs sont fortement interconnectés. L’hippocampe se compose du gyrus denté et de la corne d’Ammon qui se divise elle-même en 4 sous-parties. Le gyrus denté produit des neurones même à l’âge adulte. Cette neurogénèse se révèle très importante durant l’enfance et l’adolescence et permet une grande plasticité cérébrale. En plus de ce phénomène de neurogénèse intense, les cellules du gyrus denté subiraient un remodelage important durant l’adolescence. Pendant l’enfance, nous observons également la maturation des connexions entre les sous-champs de l’hippocampe. Tous ces réarrangements permettent le développement de la mémoire épisodique. Nous comprenons alors qu’une perturbation de ce système chez l’enfant et l’adolescent engendre des conséquences à l’âge adulte. Plusieurs études montrent que différents facteurs influencent la plasticité cérébrale de l’hippocampe comme l’environnement, le sexe de l’individu, le stress, ou l’alimentation. Plongeons maintenant au cœur de l’étude de l’USC pour comprendre comment la consommation de malbouffe à un jeune âge impacte nos capacités cognitives durablement.

Malbouffe et mémoire : décodons pas à pas l’étude de l’Université de Californie du Sud

Pour élaborer leurs protocoles, les chercheurs se sont basés sur des études antérieures qui mettent en évidence un lien entre une alimentation déséquilibrée et la maladie d’Alzheimer. Les personnes touchées par cette maladie possèdent des niveaux d’acétylcholine dans le cerveau plus faibles que la normale. L’acétylcholine est une substance qui permet aux messages nerveux de passer d’un neurone à l’autre, c’est un neurotransmetteur. Cette substance joue un rôle important dans la transmission de l’information à l’intérieur même de l’hippocampe, ainsi qu’entre l’hippocampe et les autres zones impliquées dans les processus mnésiques. Les chercheurs ont alors émis l’hypothèse qu’une mauvaise alimentation chez les jeunes pouvait affecter les niveaux d’acétylcholine et, par conséquent, la capacité de mémorisation. Précisons que les tests sont réalisés sur des rats.

► Régime fast-food à volonté pour les rats : les détails de l’expérience

Les différents régimes alimentaires

L’expérience débute lorsque les rats sont juvéniles. Ils sont séparés en 2 groupes et soumis à des régimes différents :

  • groupe 1 : alimentation saine standard (régime CTL) ;
  • groupe 2 : régime « cafétéria » reproduisant un modèle de junkfood (régime CAF).

Au bout de 50 jours, le groupe 2 passe à une alimentation équilibrée. Les tests sont effectués à différents moments de l’expérience. L’infographie, ci-dessous, expose les périodes pendant lesquelles les rats CAF sont soumis aux différents régimes. Elle fait également apparaître les moments de réalisation des différents tests : NLR, NOIC et NOR détaillés dans le paragraphe suivant.

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Les tests de mémoires

Les rats sont soumis à 3 tests différents :

  1. Le test de nouvelle reconnaissance de localisation (NLR) : évalue l’orientation spatiale (fonction de l’hippocampe). L’animal est positionné au centre d’une boîte opaque qui contient 2 objets identiques. Il explore le lieu pendant 5 minutes. Après nettoyage et déplacement des objets, le rat dispose de 3 minutes pour une nouvelle exploration. Le temps de reconnaissance des objets est mesuré.
  2. Le test de nouvel objet en contexte (NOIC) : évalue la mémoire épisodique en contexte (dépendante de l’hippocampe). Les objets sont présentés dans 2 contextes différents : une boîte semi-transparente avec des rayures jaunes et une boîte noire opaque. Les rats sont placés dans le contexte 1 avec 2 objets différents (A et B) qu’ils sont libres d’explorer. Le lendemain, ils sont positionnés dans le contexte 2 avec 2 copies de l’objet A. Le jour suivant, les animaux sont déposés dans le contexte 2 avec les objets A et B. Les temps d’exploration sont mesurés.
  3. Le test de reconnaissance de nouvel objet (NOR) : évalue la capacité à découvrir un objet inconnu. Cette faculté ne repose pas sur l’hippocampe, mais sur le cortex périrhinal. L’animal est placé au centre d’une boîte avec 2 objets identiques qu’il peut explorer librement. Il est ensuite déposé au centre de cette même boîte, avec l’objet déjà connu et un nouvel objet. Le temps d’exploration est quantifié.
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©Stéphanie Sol

► Résultats des tests : observons les performances en fonction du régime alimentaire

Observations

Les expériences sont réalisées à 2 moments différents : pendant le régime de malbouffe et après le passage à une alimentation saine des rats CAF. Les performances sont comparées avec celles obtenues par les rats CTL soumis à un régime sain depuis le début de leur vie.

  • Test NLR : les performances de reconnaissance des rats CAF sont identiques à celles des rats CTL avant passage au régime sain. Par contre, les facultés de mémorisation des rats CAF sont nettement inférieures lors du second test alors qu’ils sont soumis à une alimentation saine.
  • Test NOIC : nous observons des performances beaucoup plus faibles chez les rats CAF lors des deux tests (lors du régime de malbouffe et lors du régime sain).
  • Test NOR : il n’y a ici aucune différence significative entre l’efficacité des rats CAF et celle des rats CTL.

Interprétations et explications

Nous constatons que les rats CAF sont mis en échec lors des tests NLR et NOIC. Nous pouvons donc conclure que les mémoires spatiale et épisodique contextuelle sont altérées par le régime de malbouffe. Rappelons que toutes deux dépendent de l’hippocampe. Il est à noter que cette altération persiste même après un retour à une alimentation saine à l’âge adulte. Par contre, la reconnaissance d’objet qui repose sur le cortex périrhinal n’est pas touchée. Comment peut-on expliquer ces résultats ? Nous avons vu que le fonctionnement de l’hippocampe s’appuie sur la neurotransmission par l’acétylcholine. Les chercheurs de l’USC ont alors axé leurs observations sur ce neurotransmetteur. Pour cela, deux expérimentations sont réalisées :

  • Le dosage (post-mortem) de protéines qui jouent un rôle dans la fabrication, le transport et la dégradation de l’acétylcholine. Les résultats font apparaître des niveaux réduits du transporteur de l’acétylcholine chez les rats CAF. C’est le signe d’une réduction durable du tonus cholinergique et donc d’un dysfonctionnement de la mémoire à long terme.
  • La mesure du niveau d’acétylcholine au moment même de la réalisation du test NOIC : il apparaît que les rats CTL libèrent l’acétylcholine de façon accrue au moment de la reconnaissance de l’objet inconnu dans le contexte. Les rats CAF, quant à eux, ne montrent aucune augmentation. Ces résultats révèlent qu’une mauvaise alimentation en début de vie produit un effet durable sur la libération d’acétylcholine dans l’hippocampe lors de la discrimination d’une nouveauté contexte-objet.

Pendant l’enfance et l’adolescence, de nombreux changements se produisent dans le cerveau, notamment dans l’hippocampe. Une dérégulation de la signalisation cholinergique à ce moment-là, a des répercussions désastreuses. La fonction mnésique est affectée et les troubles de la mémoire semblent irréversibles. Même lorsque l’alimentation grasse et sucrée est abandonnée au profit d’un régime alimentaire sain, les fonctions cognitives restent altérées à l’âge adulte. Toutefois, il subsiste un espoir de traitement : l’expérience montre que l’injection (directement dans le cerveau) d’un médicament qui induit la libération d’acétylcholine inverse les effets négatifs. Des recherches supplémentaires restent nécessaires pour déterminer s’il est possible de réparer les dégâts causés par la junkfood, sans intervention médicale invasive. Malbouffe et mémoire : la recherche continue pour tout comprendre et trouver des solutions efficaces et pérennes.

Stéphanie Sol

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