Science

L’exploration sous-marine scientifique

Située entre 50 et 200 mètres de profondeur, la zone mésophotique reste un endroit inexploré. Pourtant, riche en faune et en flore, seuls quelques plongeurs aguerris atteignent ces profondeurs. Notre planète étant recouverte de 70 % d’eau, l’exploration sous-marine scientifique est loin d’être achevée.

L’exploration sous-marine scientifique - Le blog du hérisson
Le Why ©Lucas Santucci

Les défis physiologiques des eaux profondes

La zone littorale au-delà des 50 mètres de profondeur est soumise à une haute pression. Hostile, son exploration nécessite une grande expérience. Face à ces défis, les hommes ont su faire évoluer la plongée traditionnelle vers la plongée technique en utilisant des recycleurs. L’emploi des recycleurs diminue le temps de désaturation (le délai nécessaire à l’élimination de l’azote sanguin par l’organisme). D’une part, les effets physiologiques néfastes de l’azote sont amoindris. D’autre part, en augmentant la durée d’immersion, les paramètres scientifiques sont plus faciles à récolter.

► Le combat contre la narcose

Nous respirons un mélange de 20 % d’oxygène et de 80 % d’azote à la pression ambiante d’une atmosphère. Plus la teneur en oxygène dans les bouteilles est élevée (plongée Nitrox), plus l’effet toxique de l’azote (narcose) sera atténué. Les mélanges ternaires (par addition d’hélium) autorisent l’accès à des profondeurs supérieures à 60 mètres.

L’azote est un gaz neutre présent dans l’organisme sous forme dissoute. Quand sa pression partielle dépasse les 3.2 bars, les premiers signes de l’ivresse des profondeurs apparaissent. Cette altération du système nerveux central dépend des individus, de la profondeur et du temps passé en immersion.

Les signes cliniques caractéristiques de la narcose sont :

  • des troubles de l’humeur et de l’euphorie ;
  • une désorientation et un ralentissement de la pensée ;
  • des troubles de l’attention et des hallucinations ;
  • une perte de repères dans l’espace et des gestes désordonnés.

Les facteurs qui favorisent le mal des profondeurs sont :

  • la fatigue ;
  • une vitesse de descente trop rapide ;
  • le froid, le stress et la prise de médicaments.

Notons que l’oxygène, le dioxyde de carbone et le monoxyde de carbone sont potentiellement toxiques.

► L’utilisation des recycleurs

Les scaphandres à circuit ouvert sont employés en plongée loisir. Les recycleurs sont des modèles qui évitent la narcose et le gaspillage d’oxygène.

Tous récupèrent le gaz expiré et fixent le dioxyde de carbone. Il en existe trois grands types :

  • ceux à circuit fermé ;
  • ceux à circuit semi-fermé ;
  • ceux à oxygène pur (limités car l’oxygène est toxique au-delà de 6 mètres).

Faisons un point rapide sur le fonctionnement des recycleurs.

Les gaz sont ajoutés dans une boucle respiratoire. La concentration en oxygène est contrôlée avec des capteurs pour limiter sa toxicité. Le gaz expiré dans un recycleur se dirige de manière unidirectionnelle pour ne pas être respiré une seconde fois. Cette étape est assurée par des soupapes.

La formation pour l’utilisation des recycleurs est très technique. La charge physique et psychique des activités sous-marines est importante. Les constructeurs optent pour la conception d’appareils avec des résistances respiratoires faibles pour garantir un confort optimal.

Les inconvénients majeurs des recycleurs sont :

  • la rigueur et l’entraînement ;
  • la faible fiabilité de ceux à circuit fermé ;
  • l’entretien scrupuleux de son appareil.

Les principaux avantages de l’utilisation d’un recycleur sont :

  • une meilleure optimisation des gaz ;
  • une décompression optimisée ;
  • un silence absolu facilitant l’approche de la faune.

► La plongée à saturation

Au sein d’un caisson, les plongeurs effectuent des plongées sans limite de durée. Par exemple, l’équipe d’Under The Pole développe le programme capsule pour l’observation des niches écologiques sous-marines.

Under The Pole s’est inspiré des camps himalayens pour mettre au point son habitat sous-marin. Le bateau en surface représente le camp de base tandis que la capsule incarne le camp avancé. Dès lors, la plongée est effectuée à saturation à une profondeur fixe.

En 2019, le programme capsule s’est déroulé avec succès pendant trois mois. Il a permis d’assister à un événement rare : la ponte des coraux.

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La capsule ©Franck Gazzola

Les intérêts scientifiques des expéditions sous-marines

Les trois cibles de ces expéditions scientifiques sont :

  • l’élargissement de notre connaissance des formes de vie et de leur origine ;
  • la collecte des données pour influencer les décisions politiques ;
  • la découverte de nouvelles molécules thérapeutiques.

Une fois qu’elle vous a ensorcelé, la mer vous tient pour toujours dans son filet à merveilles. Jacques-Yves Cousteau.

► De la taxonomie à l’origine de la vie

De nos jours, nous constatons que 90 % de la faune et de la flore marines sont inconnues. Comblons ce vide et mettons en place des mesures de protection !

Quel outil utilisé ?

La taxonomie marine est une discipline jeune. Elle décrit les espèces et les organise en catégories hiérarchisées appelées taxons. Ce travail est long, méthodique et fastidieux, nécessitant parfois de une à dix années.

Deux projets ont marqué l’histoire avec les classifications les plus significatives jamais entreprises.

Le premier fut le périple de plus de trois ans du HMS Challenger. Ce navire britannique a navigué à travers les océans, rapportant avec lui une vaste collection d’échantillons de la vie marine.

La vie océanique rend possible toute vie sur Terre et détient la sagesse de quatre milliards d’années de notre évolution sur Terre. Nous avons une course contre la montre pour découvrir la vie océanique avant qu’elle ne soit perdue pour les générations à venir. Yohei Sasakawa, président de la Nippon Foundation

Le second, d’envergure internationale, a donné naissance à une base de données connue sous le nom de iOBIS (International Ocean Biogeographic Information System). Durant une décennie, pas moins de 540 expéditions ont sillonné les océans dans le cadre du projet The Census of Marine Life, étudiant la diversité et la richesse du biotope marin.

► Les enjeux écologiques marins du 21ème siècle

La proclamation de la décennie pour les sciences océaniques au service du développement durable de 2021 à 2030 par les Nations Unies vise à guérir la santé déclinante des océans. Agissons vite, car la perte et la destruction des habitats marins sont massives.

Les objectifs de développement durable (ODD) numéro 14 abordent la conservation et l’exploitation des océans de manière durable. Nos ressources marines sont menacées et doivent être protégées.

Mais comment atteindre ces enjeux écologiques ?

Sans les décisions politiques, l’action est inexistante. Toutes les informations récoltées lors des explorations scientifiques sous-marines alimentent leurs campagnes. Plus elles sont quantitatives et qualitatives, meilleure sera leur réponse.

Soulignons que les trois ambitions fondatrices du 14ème ODD sont :

  • la gestion durable des ressources des zones marines et côtières ;
  • la lutte contre la surpêche et la pêche illicite ;
  • l’accélération des recherches pour renforcer la résilience des écosystèmes.

Avec ses 11 millions de km2 de domaine maritime, la France porte une lourde responsabilité face aux enjeux écologiques marins.

👉 Pour en savoir plus sur la détresse du milieu marin, découvrez cet article sur les périls des océans.

► En route vers les médicaments de demain

Les océans sont un laboratoire de production chimique. Certaines molécules que nous utilisons dans la biomédecine viennent de cet environnement, tandis que d’autres attendent patiemment d’être mises en évidence.

Une estimation avance à 500 millions le nombre de substances chimiques à découvrir sous les océans. À l’image des céphalosporines qui sont issues d’un champignon marin et des alginates qui sont obtenues à partir des algues brunes, les océans pourraient-ils devenir une source de médicaments ?

Ces humains qui façonnent l’histoire de la plongée

Parler de plongée sans citer le commandant Cousteau est impossible. Cet explorateur est un pionnier de la plongée loisirs. Il a consacré toute sa vie à la défense des ressources des fonds marins. En 1943, il invente l’Aqua-Lung qui est le premier appareil respiratoire pour la plongée en scaphandre. Les adeptes de la plongée connaissent mieux le terme de détendeur. De nombreux reportages ont été écrits sur lui mais aussi réalisés par ses soins.

Faire le choix des personnalités à décrire dans cet article a été difficile. La liste est longue. Beaucoup d’équipes de plongeurs professionnels façonnent activement l’histoire de la plongée.

► Le couple Bardout

Ghislain Bardout et Emmanuelle Périé-Bardout ont dirigé plusieurs expéditions depuis 2010 à bord du Why (goélette en aluminium) et du Why Not (plateforme de recherche). Ce sont les fondateurs du programme Under The Pole, qui est dédié à la sauvegarde des océans. La recherche, l’innovation et la sensibilisation sont l’essence de leurs explorations. Le Why Not est particulièrement bien équipé pour les plongées profondes avec un laboratoire de biologie marine et un caisson de décompression. Tous les plongeurs sont spécialisés en plongées profondes et techniques.

Les expéditions se sont déroulées :

  • dans l’océan Arctique en 2010 ;
  • sur la côte Ouest du Groenland entre 2014 et 2015 ;
  • en Arctique et dans le Pacifique de 2017 et 2021.

La mission Deeplife se déroule de 2021 à 2030. Sa mission est d’étudier la zone mésophotique, un programme qui entre parfaitement dans le cadre de l’ODD des Nations Unies pour les sciences océaniques.

L’équipage d'Under The Pole - Le blog du hérisson
L’équipage d’Under The Pole ©Franck Gazzola

► Alban Michon

Explorateur des régions polaires et plongeur de l’extrême (sous-glace et spéléologie), il a ouvert et dirigé l’école de plongée de Tignes et celle des Vasques du Quercy. Grâce à ses expéditions polaires, les scientifiques ont récupéré de précieuses informations pour servir la cause environnementale. En effet, la glace est un témoin de la dégradation de notre environnement.

Après avoir intégré l’équipe de Jean Louis Etienne comme conseiller pour l’expédition Total Pole Airship, il rejoint en 2010 la première mission de Under The Pole. Pendant 45 jours, il est responsable de la plongée dans le pôle Nord géographique. Les équipes rapportent des images de l’Arctique et des éléments d’expérimentation sur la qualité du sommeil.

Alban Michon partage ses aventures à travers des livres, des films et des festivals.

Je prends acte, je note, je démontre, je témoigne et j’essaye d’apporter des solutions. Aujourd’hui, je me transforme en explorateur de solutions. Alban Michon.

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©Alban Michon

► Sylvia Earle

Docteure en biologie marine, surnommée « Her Deepness », elle détient le record de 381 mètres en plongée avec bouteilles. Passionnée et douée, elle commence la plongée en 1952. Elle se spécialise dans l’algologie et réalise de nombreuses plongées avec l’équipement de Cousteau.

Elle intègre l’Université de Duke en 1955 et décroche son doctorat en 1966. Elle devient chercheuse à l’institut Radcliffe.

En 1968, Sylvia Earle plonge à 30 mètres à bord du Deep Diver pour des plongées à saturation. En 1970, elle plonge à saturation avec une équipe de femme pendant 14 jours dans le Tektite. Cet habitat permet de faire des sorties pour étudier la flore et la faune. Par la suite, elle réalise plusieurs missions dans le laboratoire Hydrolab de l’institut océanographique américain. Elle transmet son savoir au grand public en publiant des articles de presse pour National Geographic et en collaborant avec des photographes.

Le 19 octobre 1979 est une date historique. Elle plonge avec le scaphandre autonome Jim pendant deux heures à 380 mètres.

Elle fonde Deep Search qui conçoit et construit des systèmes pour accéder aux grands fonds sous-marins. Le but est simple : protéger la biodiversité. Elle est l’une des premières à alerter sur la dégradation des océans due à l’homme.

En 2018, sa fondation Mission Blue alerte l’opinion publique sur l’état de l’océan. Elle aura dirigé au cours de sa vie une centaine d’expéditions avec plus de 7000 heures sous l’eau.

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©Pia B

L’exploration sous-marine scientifique requiert un niveau technique élevé qui n’autorise pas les erreurs. Mais l’investissement en vaut la peine pour un recueil de données à haute valeur ajoutée. Seuls les éléments pertinents comptent pour que les politiciens mènent des actions concrètes. Encourageons les  efforts de recherche sur les écosystèmes marins afin de garantir aux générations futures un environnement sain et durable.

Cyrille Magnac

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