Intoxication alimentaire au miel

Certains l’aiment avec leur thé pour soigner les maux d’hiver, d’autres le tartine avec avidité sur une tranche de pain. Le miel est rarement boudé. Dans certaines régions orientales, il arrive que les gourmands s’empoisonnent. Une intoxication alimentaire au miel, c’est grave docteur ?

Des abeilles et des fleurs

Son goût amer et irritant est apprécié par les Népalais. Parfois utilisé comme aphrodisiaque ou pour traiter l’hypertension, le miel « fou » est un médicament des pharmacopées traditionnelles asiatiques. Ce sont les abeilles géantes de la vallée de Hongu au Népal qui produisent cette liqueur mystique.

► Qui butine l’arbre rose ?

De la région côtière de la Mer Noire en Turquie à l’Himalaya, le rhododendron pontique (Rhododendron ponticum) pousse en abondance. C’est un nectar empoisonné qui se développe sous certaines latitudes.

👉 Le rhododendron, surnommé « arbre rose », attire les abeilles lors de sa floraison printanière. Cette famille de fleurs vénéneuses génère des grains de pollen toxique transportés puis transformés par les abeilles géantes (Apis dorsata laboriosa) d’Asie du Sud-Est.

► Un alicament de longue date

Comme de nombreuses substances d’origine végétale, le miel hallucinogène du Népal a trouvé sa place dans les médecines traditionnelles. Les Kulungs escaladent sans crainte des falaises abruptes pour récolter cette ressource précieuse. Ce peuple de la vallée du Hongu se soigne avec leurs remèdes traditionnels depuis des siècles.

👉 La récolte de ce miel psychédélique est entourée de mysticisme. Après avoir prononcé des mantras pour apaiser la colère du dieu des abeilles, les chasseurs débutent une ascension à haut risque.

Vous êtes Rangkemi. Vous êtes l’esprit des abeilles. Nous ne sommes pas des voleurs. Nous ne sommes pas des bandits. Nous sommes avec nos ancêtres. Volez. S’il vous plaît, partez. (Citation de Mauli dans National Geographic)

Le miel est un alicament de longue date avec des propriétés :

• antalgiques gastriques et intestinales ;
• anti-grippales et antivirales ;
• hyperglycémiques.

Au-delà de la pratique millénaire et des recherches ethnobotaniques, les activités thérapeutiques des espèces végétales d’intérêt thérapeutique sont étudiées en laboratoire. Les effets anti-inflammatoires, anti-infectieux et antioxydants du rhododendron sont bien établis.

Un alicament est un produit alimentaire bénéfique pour la santé. La consommation de l’or des abeilles apporte :

• une amélioration des fonctions pulmonaires, digestives et cardiaques ;
• un index glycémique bas, allié idéal pour sucrer (avec modération) ;
• un renfort de l’immunité grâce à son effet antioxydant.

Les fleurs de rhododendron renferment des substances vénéneuses. Après avoir récolté leur précieux butin, les abeilles géantes confectionnent une liqueur toxique due à la grayanotoxine.

La grayanotoxine : portrait d’un assassin

En flânant dans les rues de Katmandou, vous avez été attiré par un bijou mystérieux étalé sur les marchés. De retour chez vous après vos aventures népalaises, vous savourez une tartine de ce mets exotique acheté dans une échoppe locale.

Soudain, des vertiges, des nausées, des hallucinations et des bouffées de chaleur vous clouent au lit. Parfois, vous voyez des milliers de couleurs, d’autres fois, vous devenez aveugle. Après un passage aux urgences, les rhodotoxines sont identifiées. L’assassin a enfin un visage.

► Structure chimique et obtention

Les grayanotoxines sont des toxines végétales. Ces dérivés diterpéniques se retrouvent dans certaines plantes de la famille des Ericacées. Chez le Rhododendron pontique, trois types de grayanotoxines ont été identifiés. Elles sont numérotées d’un à trois en chiffres romains. Il existe 25 formes biologiques connues.

👉 Les diterpènes dérivent d’un précurseur commun : l’isoprène. La diversité des structures chimiques est due à l’action d’enzymes comme les cyclases.

Cette multiplicité repose sur :

• la longueur de la chaîne carbonée ;
• les précurseurs chimiques ;
• le type de cyclisation.

Ces molécules se trouvent dans les feuilles des Rhododendrons, des Leucothoés, du Mock azalea (Rhododendron menziesii) et du Laurier des montagnes (Kalmia latifolia). La grande diversité de terpènes se comprend par le réarrangement des chaînes carbonées et les modifications secondaires comme l’acétylation. L’activité pharmacologique de ces molécules est éclairée grâce à leur structure chimique.

► Activité pharmacologique des grayanotoxines

Elles agissent sur les canaux sodium dépendants au niveau cellulaire. Elles modifient le potentiel d’action et ont une action inotrope (transformation de la fibre cardiaque musculaire).

L’activité pharmacologique des grayanotoxines est liée à la stimulation des récepteurs des cellules nerveuses et musculaires.

👉 La membrane cellulaire est dynamique et soumise à des phénomènes de polarisation. Ce sont les mouvements d’ions qui maintiennent un potentiel électrique. Les ions impliqués dans le flux électrique membranaires sont le sodium, le potassium, le calcium et le chlore.

Le changement des canaux sodiques joue sur :

• l’augmentation de la perméabilité membranaire ;
• l’inhibition de la repolarisation ;
• l’hyperpolarisation.

Finalement, l’activité pharmacologique des grayanotoxines se conclut par des désordres cardiaques et respiratoires. Mais alors, comment diagnostiquer et traiter une intoxication au miel hallucinogène ?

Un empoisonnement au miel, ça fait mal ?

Les français consomment 45 000 tonnes de miel par an dont 35 500 sont importées. Ceux-ci sont issus d’une culture monoflorale ou polyflorale.

👉 Mais, savez-vous qu’il peut être contaminé par des spores bactériennes ? La bactérie Clostridium botulinum est responsable du botulisme infantile. Il est donc déconseillé de donner du miel aux enfants en bas âge.

Des historiens grecs racontent que les alliés du roi Mithridate auraient utilisé du miel hallucinogène contre leurs ennemis.

► Les signes cliniques d’une intoxication

Les signes cliniques d’une intoxication sont :

• une syncope (perte temporaire de connaissance) ;
• des nausées et des vomissements ;
• une bradycardie (diminution du rythme cardiaque) importante ;
• une hypotension sévère.

Les tests spécifiques au dosage de grayanotoxine dans le sang n’existent pas, le diagnostic est donc posé sur les signes cliniques et l’historique alimentaire. Il convient de faire un diagnostic différentiel avec les empoisonnements aux organophosphorés, marqués par une élévation de la concentration sanguine des cholinestérases.

Les signes cliniques s’estompent en 24 heures pour les intoxications les plus légères.

Pour résumer, les troubles d’un empoisonnement sont :

• nerveux (étourdissement, trouble de la conscience) ;
• cardiovasculaires (hypotension, arythmie) ;
• digestifs (nausée, vomissement).

► Traitement des symptômes d’un empoisonnement

Les symptômes d’un empoisonnement aux grayanotoxines sont semblables aux effets muscariniques et cholinergiques.

Les effets muscariniques se caractérisent par un ensemble de signes cliniques :

• des nausées, des vomissements et des douleurs abdominales ;
• de l’hypersalivation et de l’hypersudation ;
• une déshydratation et une bradycardie ;
• un myosis (contraction de la pupille).

Le traitement de ces intoxications sévères repose sur la perfusion de chlorure de sodium et l’injection d’atropine. En cas de contre-indication, une alternative thérapeutique serait l’injection d’épinéphrine et de dopamine.

Bien qu’une intoxication alimentaire au miel soit rare, il est crucial de rester vigilant et informé sur les types de miel consommés. La  connaissance des risques associés à certains types de miel exotique peut aider à profiter de ses bienfaits tout en évitant les dangers. Si des symptômes d’empoisonnement apparaissent, il est essentiel de consulter en urgence un professionnel de santé.
Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut plus en manger car le miel a tout de même des bienfaits et des vertus.

Cyrille Magnac