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Irène FRAIN : un crime sans importance

Aux rendez-vous de La Baule, le lundi 12 octobre 2020, était présenté le livre d’Irène FRAIN  « un crime sans importance ». Venue nous présenter son dernier roman paru aux éditions Seuil, Irène FRAIN nous dépeint sa colère froide, noire face au silence. En effet, suite à l’assassinat de sa sœur, elle se trouve, très vite, emmurée dans un triple silence, celui de sa famille, de la police et enfin, de la justice. Mais elle nous confie aussi qu’elle doit à cet ouvrage sa victoire contre le silence.

Irène FRAIN : un crime sans importance - Le blog du hérisson
Dédicace pour le site Le blog du hérisson ©Christelle Lorant

Un crime sans importance

• Rompre le silence et faire rendre justice

C’est après 14 mois de bataille et de solitude face à ce dossier qui n’en est même pas un puisque la justice n’a pas été saisie, que sa colère éclate enfin. Pour faire exploser ce silence, elle prend alors deux décisions radicales, celle d’écrire un livre et celle de changer d’avocat. Son but, rompre le silence et faire rendre justice à sa sœur.

Celle-ci, âgée de soixante-quinze ans et vivant dans une banlieue autrefois tranquille, est retrouvée un dimanche matin sauvagement assassinée. Aucune explication, aucun fait, seule certitude, il faisait beau ce jour-là. Dès les funérailles, Irène FRAIN sent une chape de plomb silencieuse au-dessus d’elle. Son instinct ne lui a pas fait défaut, elle comprend rapidement qu’elle n’est pas la bienvenue dans cette affaire.

• Récit autobiographique

Récit autobiographique, ce texte tente de rompre ce silence qui est une agression, nous dit-elle. Elle y dépeint ce qu’elle appelle l’espace négatif sociétal et y mêle descriptions froides et sentiments intimistes. Tour à tour docile, investigatrice ou désespérée, elle n’a de cesse de découvrir la vérité. Elle veut honorer la mémoire de sa sœur.

Je ne peux la laisser comme ça, nous explique-t-elle

Sa sœur, Denise, était une belle personne, droite, juste, qui ne méritait pas de finir dans l’oubli.

Irène FRAIN doit lutter sur trois fronts. Sa famille, avec qui ses rapports étaient déjà très minces, ne communique pas du tout. Elle a même appris le décès de Denise par un simple mail, alors que cette dernière agonisait depuis sept semaines à l’hôpital.

La police lui promet son rapport dans les jours à venir… pendant quatorze mois. Quant à la justice, tant qu’elle n’a pas de rapport de police, elle ne saisit aucun juge.

Lorsqu’on lui rappelle que ce livre figure sur les premières listes des prix Goncourt et Renaudot 2020, elle répond qu’elle n’y pense pas. Depuis cette histoire tragique, elle vit au jour le jour et profite du temps présent.

• Le pouvoir des mots

Ce texte est un cri du cœur, l’ultime solution pour ne pas sombrer. Un cri du cœur, mais pas seulement. C’est à sa sortie, que l’affaire commence à intéresser les milieux concernés et que les choses vont commencer à avancer et s’éclaircir peu à peu. L’enquête d’Irène FRAIN mettra, en effet, en lumière que de nombreuses agressions similaires ont eu lieu dans la même zone géographique.

Elle souligne alors le pouvoir des mots. Initialement écrit pour conjurer sa colère, ce livre déclenche finalement une enquête. « You smell a rat », lui avait dit sa fille. La réalité semble lui donner raison.

Alliant sans complexe rigueur et fantaisie, elle se définit comme une ouvrière. Elle a le respect de la matière, et sa matière à elle, ce sont les mots. Son petit grain de folie cache une travailleuse très exigeante avec elle-même. Elle n’hésite pas à jeter cent pages qu’elle vient de noircir et qui ne la satisfont pas. Les mots sont puissants.

Je n’ai pas peur de la page blanche, mais de la page nulle confie-t-elle à Catherine Ceylac

Irène FRAIN, la plurielle

Née près de Lorient le 22 mai 1955, Irène FRAIN, la plurielle, cumule les attributs prestigieux. Agrégée de lettres classiques, romancière, essayiste, journaliste, elle commence sa carrière professionnelle en enseignant les lettres et le latin, entre autres, à la Sorbonne.

On ne présente plus sa biographie. Rappelons juste que Irène FRAIN a écrit onze romans, neuf essais, neuf beaux livres et quatre contes. Son premier ouvrage, un essai intitulé Quand les Bretons peuplaient les mers, disserte sur l’histoire maritime de sa Bretagne natale. Son premier roman Le Nabab raconte, quant à lui, l’histoire vraie de Madec, un jeune mousse breton, qui devient gouverneur du Moghol. Ce livre se vendra à 1,6 million d’exemplaires.

• Une femme engagée

Aujourd’hui membre fondatrice de Women’s Forum for the Economy and Society, Irène FRAIN est une femme engagée. Elle est aussi membre du Comité d’Honneur ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) et ambassadrice des associations Aide à l’enfance tibétaine et La voix de l’enfant.

Très sensible à la justice, elle garde de son éducation, un besoin de lutter contre l’humiliation.

Elle est également membre du conseil de l’Ordre National du Mérite, Chevalier puis Officier de la Légion d’Honneur et Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.

• Lorient et l’Orient : je suis une Bretonne voyageuse

Fière de sa Bretagne natale, et en particulier Lorient, « sa colonne vertébrale », Irène FRAIN retrouve à Larmor-Plage, les souvenirs d’enfance, des colliers en coquillage et le croustillant des cornets de glace devant Notre Dame de Larmor, patronne des marins. Mais c’est dans l’enclos du port, site militaire où s’était établie la Compagnie des Indes, qu’elle visite une exposition sur l’âge d’or de la ville. Elle y voit les Indes, « violettes et brillantes ». L’Inde devient un de ses sujets de prédilection. Elle fait de nombreux voyages en Inde, au Tibet et en Orient en général.

• L’investigation au service de la condition féminine

Irène FRAIN met l’investigation au service de la condition féminine. Je te suivrai en  SibérieBeauvoir in Love  ou Marie Curie prend un amant sont de merveilleuses démonstrations de sa capacité à lier le travail d’enquête et l’éloge de la femme. Selon elle, l’enquête est sa réponse au « respect que demande le large public ». Les missions de journaliste, d’enquêteur, de romancier se rejoignent en cela qu’ils doivent comprendre l’humain.

Elle tente de lutter contre l’inconscient collectif qui fait de la femme un stéréotype. Elle illustre sa pensée en rappelant que l’on dira à une écrivaine qu’elle a écrit un joli roman alors que l’on dira à un écrivain que ce qu’il a écrit est « beau ». Pour elle, cela fait toute la différence.

À noter que Irène FRAIN se définit aussi comme une Épicurienne, elle aime faire le marché, parler aux gens et profiter des bonheurs simples, comme les promenades en forêt avec son époux.

Merci à Irène FRAIN pour ce moment de partage. Elle s’est dite flattée que le site Le blog du hérisson lui consacre un article.

Si vous aimez ces moments magiques où l’actualité rejoint la littérature, je vous invite à lire mes autres articles de la même rubrique.

Irène FRAIN a reçu le prix Interallié 2020 pour ce roman.

Christelle Lorant

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