CinémaCulture

Le cinéma coréen : une vague d’un genre nouveau

Loin d’être un cinéma grand public, le cinéma sud-coréen a su s’imposer chez nous, aussi bien sur les plateformes de diffusion que sur grand écran. Atypique, inclassable, on a du mal à définir le « style » de cette volée de films. L’incroyable Parasite, dernier long métrage de Bong Joon-Ho, vient notamment de remporter quatre récompenses lors des Oscars 2020. Marquant l’histoire de la cérémonie, ce premier film en langue non anglaise à recevoir l’Oscar du meilleur film met en lumière le reste de la filmographie de son réalisateur, mais également certains bijoux d’un courant asiatique inconnu du grand public. Comment définir le cinéma coréen, cette vague d’un genre nouveau ?

Le cinéma coréen : une vague d’un genre nouveau - Le blog du hérisson
©Saveliy Bobov

Le style coréen qu’est ce que c’est ?

Depuis 2003 et l’arrivée d’Old Boy ou de Memories of murder sur nos écrans, la fiction sud-coréenne a fait son chemin en Occident, doucement, mais sûrement. La guerre entre l’URSS et les États-Unis ainsi que la séparation avec sa sœur Corée du Nord a forgé en Corée du Sud un cinéma sombre, soumis à une censure marquée. Le soulèvement des étudiants en avril 1960 et l’influence des films d’action américains imprègnent la vision d’une nouvelle génération de réalisateurs coréens. 

• Du gore, de la violence ou du malsain 

Ça peut être un choc pour le spectateur non initié :  le cinéma coréen est violent, très violent. Les souffrances physiques comme psychologiques s’entremêlent avec brio pour créer une ambiance pesante ou malsaine. Qu’il s’agisse de coups de marteau sanguinolents, de viols, de manipulation ou encore de jeux de pouvoir, les films coréens semblent vouloir peindre toutes les couleurs des relations humaines. Que ce soit au travers de la photographie, du scénario ou de la musique, ces œuvres cathartiques nous dérangent et nous bouleversent. 

• Des retournements de situations

Bien que cousin des films d’action américains, le thriller coréen s’en distingue par une maîtrise parfaite de l’effet de surprise. Il est souvent difficile de prévoir comment l’intrigue va se terminer ou même évoluer. Cette capacité à surprendre contribue largement à la fascination et au plaisir du spectateur, de plus en plus rodé aux mécanismes essoufflés de la narration du cinéma à gros budget.

Des thématiques récurrentes

La vengeance, la lutte des classes ou encore l’impuissance d’un personnage face aux forces du destin, voilà des thématiques récurrentes que l’on retrouve chez de nombreux cinéastes sud-coréens contemporains influencés par l’histoire de leur pays. La notion de “fatalité” fait écho à la domination des puissances extérieures auxquelles la Corée n’a jamais pu s’opposer ainsi qu’à la censure qui contrôlait le cinéma dans les années 70. En effet, sans pouvoir blâmer ouvertement les institutions, les auteurs coréens ont pu ainsi exprimer leur incapacité à faire face à des forces qui les dépassent.

• Des personnages ambigus

Des personnages principaux corrompus, flemmards, violents, indécis ou encore arrogants… les cinéastes coréens dépeignent l’humanité dans ce qu’elle a de plus noir, de plus pathétique, mais également de plus fragile et touchant. Loin de présenter un modèle de comportement censé inspirer et élever le spectateur, le héros coréen flirte avec les frontières morales avant de les transgresser complètement. C’est un personnage désespéré, au bord de la crise de nerfs, un anti héros poussé à bout et prêt à tout pour arriver à ses fins. De même les opposants ou les rôles secondaires peuvent montrer de multiples facettes et surprendre un public habitué aux antagonistes caricaturaux.

• Une variété d’émotion et de genre

Le cinéma coréen nous fait passer du rire aux larmes avec une facilité déconcertante. Son genre indéfini, oscillant sans cesse entre horreur et comédie, thriller et drame psychologique, nous bouscule et nous laisse sans défense. En insérant des temps de respirations poétiques ou d’humour entre deux moments de violence et de tragédie, le cinéma coréen nous touche au cœur. Il n’est pas rare que certaines scènes provoquent des sentiments de frustration, de malaise, d’injustice ou d’incompréhension, émotions que la production cinématographique générale tente de fuir. Une approche peut-être peu “commerciale” et qui n’aide pas à vendre le “produit” film, mais qui laisse la place à l’art et à la voix de l’auteur. Cette démarche peut déconcerter le spectateur voire le choquer, notamment lorsque l’humour est intégré à un scénario particulièrement sombre. Cependant, si les films coréens parviennent à nous bouleverser c’est bien parce qu’ils jouent avec nos limites.

Le cinéma coréen : une vague d’un genre nouveau - Le blog du hérisson
Memories of murder ©Bong Joon Ho CJ Entertainment – Sidus Pictures

L’avenir du cinéma coréen

Y’aura-t-il un “avant” et un “après” Parasite ? La cérémonie des Oscar a-t-elle l’influence suffisante pour augmenter la visibilité de ce cinéma qui se fait progressivement une place dans nos salles obscures ? Contrairement à la majorité des réalisateurs occidentaux, les réalisateurs coréens sont très souvent les auteurs de leurs propres scénarios, une force indéniable pour la cohérence du film et pour la diffusion du message qu’il souhaite transmettre. Cependant on peut se demander où s’arrête la liberté d’expression de ces artistes. Une fiction qui dérange peut-elle toujours aller plus loin pour critiquer les travers de son pays ? 

• Après l’Oscar

Récompensé par l’Oscar du meilleur réalisateur ainsi que par trois autres Oscars, Bong Joon-Ho n’a plus rien à prouver. Malgré l’accueil triomphal que lui ont réservé ses concitoyens en Corée du Sud, on peut s’interroger sur la liberté artistique des auteurs coréens dans un pays où la censure demeure très présente. L’importation massive de culture coréenne en occident au travers de ses dramas (séries télévisuelles) ou de sa musique (K-pop), nous donne l’image maîtrisée d’une Corée ouverte et tolérante. Cependant on ne peut ignorer les difficultés pour les artistes de s’exprimer sur les sujets qui fâchent. Les violences sexuelles envers les jeunes actrices ou encore la censure des films qui dérangent, comme celle du documentaire sur le naufrage du Sewol en sont des exemples frappants. Espérons donc que la reconnaissance d’un cinéma coréen engagé permettra aux Coréens une nouvelle liberté de ton.

• Une chance pour le cinéma asiatique ?

De même que le cinéma japonais, le cinéma coréen, de plus en plus populaire, pourrait-il ouvrir la voie à un cinéma quasiment inconnu en France et en Europe ? Qu’en est-il des réalisateurs et auteurs asiatiques, de Chine ou d’Asie du sud ? L’exception Won Kar-Wai ne doit pas nous faire oublier la diffusion quasi-inexistence de cette production culturelle pourtant massive de nos voisins du soleil levant. 

• Quelle place pour la femme ?

Mademoiselle (de Park Chan-Wook) avait subi quelques critiques sur sa vision des personnages féminins. On ne peut s’empêcher de remarquer que la présence des femmes dans les longs métrages coréens est cantonnée la plupart du temps à un rôle d’idéal intouchable, érotique ou de victime. Un reflet de la situation générale des femmes en Corée du Sud ? Comme en occident, la pression sociale pesant sur la femme pour demeurer un objet de désir et de perfection est énorme. Peut-être plus encore en raison de la démocratisation de la chirurgie esthétique et de la culture misogyne bien ancrée dans le pays. On peut déplorer que les femmes des films coréens ne soient peintes que sous le regard de réalisateurs masculins et espérer que la visibilité du genre permette aux réalisatrices coréennes de se faire une place.

Le cinéma coréen : une vague d’un genre nouveau - Le blog du hérisson
Mademoiselle, réalisé par Park Chan-Wook, 2016 ©The Jokers / Bac Films

Ces films coréens qui nous fascinent

Si certains films coréens comme Parasite, ont fait grand bruit, d’autres sont passés plutôt inaperçus aux yeux du grand public, sans jamais décevoir les fans du genre. En bonus, voici donc notre liste de 10 films coréens à ne pas rater.

1. OldBoy

Film de Park Chan-Wook. Un homme enlevé sans raison apparente restera enfermé 15 ans avant d’être soudainement relâché sans explication.

2. Beautiful

De Jeon Jae-Hong. Conte sordide où la beauté d’une jeune femme est une véritable malédiction. Cette apparence provoque la haine des femmes et la passion incontrôlée des hommes. Un jour, un de ses nombreux admirateurs pénètre chez elle pour la violer, provoquant chez la jeune femme l’envie de détruire toute trace de sa perfection.

3. Stoker

Film de Park Chan-Wook, il met en scène des acteurs occidentaux tels que Nicole Kidman ou Mia Wasikowska. L’histoire : à l’enterrement de son père, mort dans un étrange accident de voiture, une jeune femme rencontre un oncle qu’elle n’a jamais connu et qu’on semble avoir toujours voulu tenir à l’écart. Fascinée, la jeune femme se laisse séduire.

4. The Strangers

Na Hong-Jin nous offre un thriller fantastique dans la campagne sud-coréenne. Une série de meurtres sauvages et des apparitions inexpliquées perturbent la vie d’un policier et de sa famille. On raconte que l’ermite vivant au fond de la forêt serait le responsable de ces crimes atroces.

5. Dernier train pour Busan

Par Sang-Ho Yeon. Un père divorcé conduit sa fille en train jusqu’à Busan où elle doit retrouver sa mère. Bien vite les choses prennent une tournure sanglante lorsque les usagers du train comprennent que la Corée est en train de succomber à un virus transformant tous les citoyens en zombie

6. Chaser

Ce film de Na Hong-Jin nous entraîne dans l’enquête d’un ancien flic devenu proxénète, lorsque les jeunes femmes qu’il met dans la rue commencent à disparaître.

7. Memories of murder

Basé sur une très célèbre affaire coréenne, le film de Bong Joon Ho nous montre la chasse à l’homme impossible que mènent deux enquêteurs face à un serial killer.

8. Mademoiselle

De Park Chan-Wook, celui-ci nous fait suivre une jeune servante coréenne engagée par un homme amoureux pour s’introduire chez une jeune et riche Japonaise prisonnière de son oncle.

9. Burning

Réalisé par Lee Chang-Dong, ce film nous montre la relation naissante entre un coursier aspirant écrivain, et une jeune femme rêvant de devenir actrice. Ils s’aiment, mais elle part aussitôt en Afrique. À son retour, elle lui présente Ben, un riche et arrogant jeune homme, avec lequel elle semble avoir une liaison. Le trio entretient une étrange relation, jusqu’à ce que la jeune femme disparaisse.

10. Snowpiercer

Bong Joon Ho adapte ici une BD française en un film coloré et délirant. L’humanité a péri presque toute entière dans la nouvelle ère glaciaire. Seule une poignée de survivants vit désormais confinée dans un train qui parcourt le monde dans une boucle infinie. Les classes pauvres parquées aux fonds du train décident un jour de se rebeller contre l’élite profitant d’un confort bien supérieur à la tête de l’appareil.   

Le cinéma coréen n’a pas fini de nous surprendre, si vous n’êtes pas convaincu, rendez vous service et tapez « films coréens » sur Netflix.

Isabelle Van Steenkiste

2 réflexions sur “Le cinéma coréen : une vague d’un genre nouveau

  • Excellent résumé.

    On peut rajouter l’effet générationnel. Une génération qui a connu la dictature et des régimes très stricts, la plus ancienne qui a connu un niveau de vie très bas (la Corée Du Nord était plus riche que le Sud jusque dans les années 70) une compétition très forte pour relever le pays et une compétition sociale vers le haut (au point qu’ils ont mis des barrières anti-suicide dans le métro !!!!) et un état très militarisé qui aide à comprendre beaucoup la psychologie des personnages surtout dans le genre Dráma qui aujourd’hui de par sa qualité, ses scénarios et budgets se rapprochent davantage du cinéma et sont une vraie porte d’entrée dans la compréhension de l’univers de la culture Coréenne pour ceux qui aiment.

    Ce sont des clés qui peuvent aider à comprendre un environnement et le point de vue des réalisateurs et des histoires.

    Je trouve cependant que le gore a pris un peu trop le dessus. Il fut un temps où la psychologie était la norme et où les noms de code Shiri étaient l’exception…

    À te lire.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *