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Nationalisme québécois, la rétrospective

Il y a quelques mois de cela, le président de la République française alertait sur un recul de la francophonie. Une inquiétude qui nous incite à revoir notre conception de la francophonie et à revaloriser les éléments qui la composent. En tant que français, nous restons bien étrangers à des préoccupations identitaires relatives à notre langue ou notre culture. C’est pourquoi à travers cette rétrospective sur le nationalisme québécois, nous revenons sur l’histoire d’une communauté ayant su préserver la francophonie en milieu minoritaire.

Nationalisme québécois, la rétrospective - Le blog du hérisson
©Harry Spink

Le recul de la langue française

Tous les indicateurs nous disent qu’il souffle un vent de mondialisation en anglais […] et le gouvernement fédéral canadien semble rester hostile à reconnaître le besoin culturel et linguistique de protéger la langue française.

Le 5 mars 2023, le chef du Parti Québécois, Paul St Pierre Plamondon était l’invité du Figaro. Il fait le constat d’un déclin de la langue française et tire la sonnette d’alarme concernant l’agglomération de la culture francophone au profit de l’impérialisme linguistique américain. En prenant la France à partie, monsieur Plamondon nous pose une question : que compte faire la France concernant le recul de la francophonie ? La récente visite du chef du PQ à Paris nous offre l’occasion de revenir sur l’histoire d’un clivage au cœur de la fondation de l’État fédéral canadien.

Si le deuxième plus grand pays du monde est souvent comparé à son voisin américain, il est bien une chose qui l’en distingue, c’est le clivage anglais-français. De par son histoire et sa réalité démographique, le Canada n’a eu de cesse d’essayer d’accommoder ou de détruire le “fait français”. Selon les données avancées par le gouvernement canadien, le français est la deuxième langue la plus parlée sur le territoire pour 22.8 % de la population maîtrisant cette langue officielle (ce qui équivaut à environ 8 millions d’individus sur 35 millions de canadiens). Cela ne surprendra personne, la majorité de ces francophones vit dans la province de Québec. Le fait français nous le voyons, est inséparable de l’État canadien et s’il est vrai que la proportion des francophones au sein du pays diminue d’année en année, les Québécois n’en restent pas moins la minorité la plus large du paysage canadien.

L’origine du fait français en milieu minoritaire

La rivalité historique trouve son origine à l’épilogue de la guerre de 7 ans, le conflit d’envergure mondiale qui opposa de nombreux belligérants tels que la Grande-Bretagne et le Royaume de Prusse face au Royaume de France, l’empire russe et la monarchie de Habsbourg. Après avoir été défait par les britannique en Nouvelle-France, le royaume de France cède le territoire aux britanniques le 19 février 1763 après la signature du traité de Paris. Dans un premier temps, il ne fait pas bon d’être francophone : les acadiens, une minorité francophone dont l’origine remonte au XVIIe siècle seront expulsés de leur territoire dès les années 1750. La couronne, après sa victoire sur les français entamera une stratégie d’agglomération de l’exception francophone, on considère à l’époque qu’en interdisant la manifestation de l’identité française, elle finira par disparaître d’elle-même. Pourtant, cette tentative d’assimilation va laisser la place à la tolérance et l’accommodation, l’empire ayant rapidement compris que s’il voulait être victorieux dans sa campagne contre la minorité vaincue, l’absorption demanderait trop d’effort et une immigration massive des britanniques au Québec. En guise de figure de cette nouvelle direction, mentionnons l’Acte de Québec de 1774. La loi britannique autorise désormais la pratique du catholicisme ainsi que la possibilité pour les catholiques de travailler dans l’administration publique. Un autre droit est sécurisé et pas des moindres : celui de faire usage du droit civil français.

La constitution de 1867, le calme avant la tempête

L’histoire constitutionnelle du pays reflète parfaitement l’amour vache entre la province de Québec et l’État fédéral canadien. Le 1er juillet 1867, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau Brunswick et la colonie du Canada (Ontario et Québec) s’unissent  en une confédération sous l’égide du British North America Act (BNA Act). La première constitution prévoit d’être similaire, en principe à la constitution du Royaume-Uni. En d’autres termes, le pouvoir législatif serait organisé selon un système bicaméral dont la structure est composée d’une chambre basse avec des membres élus (House of Commons) ainsi que d’une chambre haute, investie par des membres non élus (Senate). En plus de préparer l’organisation des pouvoirs, la constitution impose sa doctrine concernant la rivalité franco-anglaise. Désormais, la société canadienne devient un pacte entre deux communautés bien distinctes. Le caractère fédéral de l’État semble être la solution pour accommoder la différence francophone.

La victoire de ce partenariat sera de courte durée, les vifs conflits ponctuels n’auront de cesse de raviver les tensions, en voici un bref résumé :

D’abord, le cas de Louis Riel. Il était un métis français canadien à la tête de la résistance pour la protection des droits des métis français. Il s’est également battu pour la reconnaissance de Manitoba comme province canadienne. Le 23 mars 1885, la rébellion du Nord-Ouest éclate, cette dernière sera rapidement matée et Riel, jugé. Le procès ne laisse aucun espoir au révolté, il est inculpé pour de nombreux actes de trahison et le jury est composé de six anglais.

C’est pourquoi je ne puis croire que ma mère-patrie veut aujourd’hui me pendre.

Il est pendu le 16 novembre 1885, déclenchant le raidissement des relations francophones-anglophones. Des conflits linguistiques parsemèrent l’histoire de la confédération tels que la crise des écoles francophones (Regulation 17) ou la crise du bilinguisme à Manitoba. Les deux conflits portant à ébullition une atmosphère déjà tendue furent les deux conscriptions de 1917 et de 1944. Au déclenchement de la première guerre mondiale, en tant que colonie, le Canada rejoint le conflit mais reste libre de déterminer par lui-même la nature de son implication. Dès 1914, quelques milliers de volontaires partent au front et seuls 11 % sont francophones. La guerre s’enlise rapidement et les volontaires se font de plus en plus rares, d’où la décision du gouvernement fédéral conservateur de Robert Laird Borden d’introduire la loi du service militaire, permettant au gouvernement canadien de contraindre chaque homme de participer au conflit. Les révoltes qui suivront du côté francophone seront violemment matées et la deuxième conscription mettra un nouveau coup d’arrêt à la cohabitation pacifique.

La révolution tranquille, réinventer le nationalisme

La révolution tranquille débute dans les années 1960, il s’agit d’une période au cours de laquelle, à l’image de l’évolution du paysage Québécois (urbanisation, modernisation, sécularisation…), le nationalisme va subir une évolution drastique et passer d’une conception exclusive et tournée vers l’intérieur à une définition plus globale et laïque. La révolution tranquille voit la modernisation de la province menée par le gouvernement de Jean Lesage. Elle s’accompagne d’une promotion assumée du français dans l’espace public. Cependant, la révolution tranquille ne le resta pas bien longtemps. En octobre 1970, le Front de libération du Québec, bras armé du mouvement indépendantiste, enlève deux fonctionnaires de haut rang : James Richard Cross et Pierre Laporte, ministre du travail de la province francophone. Ce dernier fut tué le 17 octobre 1970.

C’est comme si nous mesurions d’un coup, instantanément, à en avoir mal au coeur, combien était grave le geste que nous venions de poser. Francis Simard, Pour en finir avec Octobre, Stanké, 1982, p. 69.

L’ultime tentative de réconciliation

C’est donc sous les plus mauvaises auspices que débute le rapatriement de la constitution canadienne. La constitution de 1867 ne permet pas au Canada d’amender sa propre constitution, ce dernier doit passer par la loi britannique, les canadiens ne possédaient pas non plus de charte sécurisant leurs droits fondamentaux dans leur constitution. Afin de couper les derniers liens qui unissent la feuille d’érable au lion, le premier ministre Pierre Trudeau amorce la longue et difficile réforme constitutionnelle de 1982.

En 1980, le PQ, alors à la tête du gouvernement de la province, utilise le référendum afin de poser une question simple aux Québécois : le gouvernement régional devrait-il négocier avec le gouvernement fédéral une entente de souveraineté-association ? Comprenons par là un premier pas vers l’indépendance de la province. La promesse du premier ministre Trudeau de renouveler le fédéralisme canadien ainsi que la relation entre l’État fédéral et le Québec si la proposition était défaite participe à une confortable victoire du non : 60 % contre 40 %.

Le rapatriement de la constitution canadienne commence enfin et avec elle, des négociations très tendues. De plus, la Cour Suprême du Canada déclare en 1981 que la constitution peut être amendée si la modification est soutenue par un nombre “suffisant” de provinces. Cette subtilité, laissée volontairement floue par la cour, a permis au premier ministre Pierre Trudeau de mener sa réforme sans l’accord de la province de Québec la nuit du 4 novembre 1981. Malgré l’avancement des négociations à Ottawa entre le premier ministre ainsi que tous les premiers ministres provinciaux, dans la nuit du 3 au 4 novembre, tous les ministres à l’exception de René Levesques, alors endormi dans un hôtel à Gatineau, parviennent à un accord sur le nouveau texte. La constitution ne sera évidemment pas signée par le premier ministre québécois René Levesques suite à la fameuse nuit des longs couteaux dont le symbole résonne comme un énième coup de poignard dans le cœur de la communauté francophone.
Il nous faut saluer les tentatives de réintégrer le Québec dans la constitution après le fiasco du 4 novembre comme l’accord du lac Meech. On essaya de reconnaître Québec comme une “société distincte” et on y proposa de donner un véto provincial sur un large éventail d’amendements constitutionnels éventuels ainsi que d’autres provisions offrant à la province une souveraineté accrue dans des secteurs clés. Le projet initié par le premier ministre Brian Mulroney est un échec. La deuxième tentative à Charlottetown ne s’avère pas concluante non plus, le paquet d’amendements constitutionnels proposé par Mulroney sera rejeté par les québécois à l’issue du référendum du 26 octobre 1992.

Les espoirs déçus stimulent de nouveau les tensions, les idées indépendantistes progressent jusqu’à la tenue d’un référendum initié par le PQ, une nouvelle fois. C’est une fois de plus que la proposition sera défaite mais cette fois-ci, la victoire du non s’obtient à un cheveux : 50.6 pour cent contre 49.4 pour cent.

Aujourd’hui, la province de Québec demeure canadienne sans pour autant avoir signé la constitution à laquelle elle reste soumise. Le nationalisme y est aujourd’hui centré sur la politique du langage comme en témoigne le cassage de la Charte de la langue française (loi 101) par la Cour Suprême ou les débats plus récents sur la loi 96 et des éventuelles restrictions sur l’accès à la langue anglaise dans l’éducation. De plus, on assiste depuis 2006 à ce que Jean-François Laniel appelle la républicanisation du nationalisme québécois. La question de la laïcité se place depuis lors au cœur de l’identité des citoyens dont la loi 21, interdisant le port de signes religieux chez les agents de l’Etat et les enseignants ouvre un nouveau chapitre. Cette dernière, bien partie pour être contestée devant la Cour Suprême, dérange naturellement Ottawa qui n’a pas manqué d’affirmer sa volonté d’intervenir dans le dossier, afin de protéger les minorités d’une charte allant à l’encontre de leurs libertés.

Vous l’aurez compris chers lecteurs, l’histoire du Québec s’inscrit dans les fondations même du Canada. Malgré un recul de la langue apparent, ce clivage ayant tant animé la vie politique canadienne lui, n’est pas prêt de s’éteindre. Mentionnons en guise de conclusion, la devise. Trois mots résumant succinctement mais adéquatement le caractère distinctif de la société francophone. Les québécois en les évoquant se rappelleront les gloires et les échecs de leur communauté. Eux qui jamais n’oublieront les traditions et les mémoires de la Belle Province gardent avec fierté ces trois mots : “Je me souviens.”

Maxime Sasportes

→ Le chef du Parti Québécois : «La France n’a pas à se soumettre à l’impérialisme anglophone»

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