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Lire Sénèque ou apprendre à lâcher prise

Après la découverte de la langue latine, je me lançai dans ma première lecture de Sénèque avec son fameux De Ira (De la colère pour les non-latinistes). Si j’ai décidé d’y consacrer un article, c’est parce que ce livre m’a profondément touché, d’où cette affirmation : Lire Sénèque ou apprendre à lâcher prise. Et c’est ce sentiment que j’espère aujourd’hui pouvoir vous partager à travers ma brève présentation de cet ouvrage.

Lire Sénèque ou apprendre à lâcher prise - Le blog du hérisson
Gravure ©Sébastien Leclerc

Mais qui est Sénèque et qu’est-ce que le stoïcisme ?

Il y a, à mon sens, une phrase qui définit parfaitement le stoïcisme. Comme le résumait si bien mon professeur de philosophie en classe de terminale alors fortement inspiré par Epictète : « Il y a ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de ». Epictète est par ailleurs lui aussi un philosophe stoïcien.

Cette phrase signifie que chaque jour nous avons à nous inquiéter de ce qui dépend de nous, c’est-à-dire tout ce qui concerne notre état d’esprit, nos manières d’agir, nos pensées nos jugements. Mais à l’inverse il est vain et même nuisible à la tranquillité de l’esprit de s’inquiéter de notre place dans la société ou encore de notre état de santé car cela ne dépend pas uniquement que de nous.

Les philosophes stoïciens, pensent que la nature est un tout bien organisé, un cosmos, cela revient donc à dire que rien n’arrive par hasard et que tout ce qui nous arrive est une nécessité.

En résumé, la philosophie stoïcienne défend un art de vivre empli de lâcher prise sur les choses qui nous entourent et les événements qui nous arrivent pour se concentrer uniquement sur ce qui est modifiable par nous-mêmes c’est-à-dire notre état d’esprit.

À mon sens, l’on pourrait comparer cela à l’expression populaire : « voir le verre à moitié plein » car en agissant sur notre esprit on peut arriver à tirer parti de n’importe quelle  situation même celles qui paraissent les plus catastrophiques.

Passons maintenant à Sénèque, ce nom vous a peut-être été familier au détour d’un cours de philosophie ou encore de latin. C’est un philosophe stoïcien romain du premier siècle après Jésus-Christ.

II est surtout connu pour ses conseils sur l’art de vivre. Il fut le conseiller de grands empereurs romains comme Claude ou encore Caligula. Par la suite il sera exilé en Corse où il écrira ses premiers traités philosophiques. Il aura une fin tragique étant donné qu’il sera poussé au suicide par Néron, son ancien élève.

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Présentation de l’oeuvre

De la colère, est un dialogue philosophique dans lequel Sénèque s’adresse à son frère Novatus. Il fait alors référence au tempérament quelque peu colérique de l’empereur Caligula afin de lui montrer l’importance de la maîtrise de soi.

Le lecteur est alors à la place du frère de Sénèque. Ce qui n’est pas sans conséquence directe sur le lecteur, en effet cette position permet de ressentir une certaine proximité avec l’auteur, comme un ami qui serait en train de nous donner des conseils.

Analyse détaillée de l’œuvre

Le dialogue se divise en trois livres.

► Livre I

Sénèque postule que la colère détruit tout sur son passage. Mais aussi, chose importante : la colère même ennemie de la raison ne peut opérer que dans un corps doté de raison. C’est pourquoi les animaux ne se mettent pas en colère par exemple.

A la suite de ce raisonnement, la réflexion suivante naît : la colère lorsqu’elle s’empare de nous ne nous permet plus d’être maître de nous-mêmes. Elle nous rend captif et ne nous laisse plus libres d’agir. A titre d’exemple, Sénèque écrit que la colère fait perdre une bataille car elle empêche de raisonner. Elle rend téméraire et pousse à la précipitation. Car rappelons-le, ce texte est destiné à guider Novatus, le frère de Sénèque, pour qu’il mène un bon gouvernement de la cité.

D’autant plus que Sénèque, en tant que philosophe stoïcien, prône une vie de tempérance, de devoir, de réflexion et non de fureur et d’emportement.

Afin d’aller plus loin encore dans sa réflexion, il affirme que la colère est l’ennemie de la vérité, car elle va même jusqu’à inventer des fausses justifications. Comme lorsque l’on se met en colère contre quelqu’un par rapport à des rumeurs qui nous ont été rapportées et qui se trouvent être fausses.

Il énonce aussi qu’un homme sage ne s’irrite presque jamais car il sait que lui aussi peut faire des erreurs.

La colère n’élève et ne grandit pas, elle donne simplement une illusion de grandeur.

► Livre II

Sénèque cherche à définir si la colère est quelque chose qui se produit spontanément en nous ou si indirectement on choisit de la faire apparaître.

Il distingue alors la vengeance de la colère. La vengeance ne peut s’exercer sans mouvement de l’âme (on observe, on comprend, on se venge) tandis que la colère ne semble pas être raisonnée. Afin de justifier cela, Sénèque prend l’exemple de la personne qui tue pour le « plaisir » c’est-à-dire sans avoir été offensée préalablement. Dès lors, la cruauté naîtrait de la colère exacerbée.

A la suite de cette définition de concepts, il énonce les moyens de prévenir la colère avant qu’elle ne naisse mais aussi de la guérir une fois née :

  • une bonne éducation.
  • apprendre à se connaître.
  • limiter le naturel. Il prône une éducation avec des passions modérées et avec des règles. Il recommande aussi d’avoir un maître doux car souvent les enfants reproduisent à l’âge adulte ce qu’ils ont vécu durant leur enfance.
  • il ne faut pas prêter attention aux rumeurs et aux faux semblants, c’est-à-dire qu’il ne faut pas s’énerver pour des broutilles.
  • il est vain de s’énerver contre des objets ou des animaux, qui dénués de raison, ne peuvent nous faire injure. 
  • se juger soi-même avant de juger les autres.

Il prolonge aussi sa réflexion en mentionnant le fait que le sage ne doit pas s’irriter de tous les maux et méfaits car chacun tire son bien du malheur d’autrui car l’innocence a disparu de ce monde. Cela revient à dire que l’on ne peut pas s’énerver contre tous car les torts sont commis par tous.

Chacun est méchant dans sa vie à sa façon (car cela est le propre de la race humaine), alors soyons tous indulgents les uns avec les autres.
Mais une question se pose encore : Que faire du plaisir de rendre la pareil ?

Pour Sénèque, la vengeance ne serait pas synonyme de justice mais d’injure. En effet, chercher à contre-attaquer est une réaction de faible, il faut plutôt penser au bien passé que nous a fait cette personne.

► Livre III

A ce terme de sa réflexion, Sénèque énonce que le temps serait le dernier remède à la colère. Elle est la seule passion qui peut s’emparer d’une nation toute entière à la fois. La colère est tellement puissante qu’elle décime des peuples et des nations entières (cf. exemple de la bataille perdue à cause de la colère).

Il nuance cependant son propos en mentionnant que la colère est utile pour nous faire avancer mais qu’elle doit être modérée par d’autres instruments. D’où le fameux dicton populaire :

Courageux mais pas téméraire !

Plus insidieuse encore, elle est à craindre car elle touche tout le monde, même les esprits les plus paisibles. Ainsi, la colère est pire que la méchanceté car là où la méchanceté espère un coup du sort défavorable, la colère cherche directement à nuire de son propre chef.

Dans ce troisième et dernier livre, Sénèque énonce ainsi les conseils ultimes d’une vie paisible dont la colère est l’ennemie :

  • côtoyer des gens aux bonnes vertus car elles sont contagieuses tout comme les mauvaises d’ailleurs ;
  • prendre chaque injure avec légèreté pour ne pas avoir mal ;
  • ne pas juger seulement l’acte mais aussi l’instigateur ainsi que les raisons et passions qui ont motivé son action ;
  • examiner quotidiennement son âme sur les vertus exaltées et les vices combattus, car cela aide à se rendre compte de ses actes et à se modérer.

Mais enfin, la question que nous nous posons tous : Comment calmer quelqu’un en colère ?
Premièrement, Il s’agirait de faire semblant d’être en colère, pour que celui qui est en colère ait confiance en nous. Puis on prétexte un retardement de la vengeance pour un mal plus réfléchi et plus efficace. Le temps soignera alors de lui-même la colère.

Avis personnel sur l’oeuvre

J’ai voulu lire Sénèque, parce que ce personnage rempli de quiétude et de tolérance m’intriguait énormément. Même si je suis plutôt de nature tranquille, je me demandais comment il arrivait à se détacher autant des choses et des situations.

Entre le travail, les études, les relations sociales, où constamment on se sent le devoir d’être au top dans chaque domaine, la pression sociale peut alors s’avérer être difficile à supporter. On est donc de plus en plus irritable et on est forcé de constater que l’on a l’impression de se mettre en colère de plus en plus souvent et pour des choses de plus en plus futiles.
Je me suis donc demandé si le stoïcisme pouvait apporter certaines réponses à ces questions.

Alors oui en lisant Sénèque, j’ai pu en apprendre davantage sur le stoïcisme et ses vertus, comme cité précédemment dans l’article. Mais hormis le côté didactique que ce livre peut avoir si j’ai décidé de lui consacrer mon premier article c’est tout simplement parce que je l’ai trouvé spécial. Dans le sens où une fois que vous fermez la dernière page de ce livre, un sentiment de complétude se produit. Je vais d’ailleurs à cet effet, vous citer les dernières phrases de l’oeuvre :

Tant que nous sommes parmi les humains, sacrifions à l’humanité ; ne soyons pour personne un objet de crainte ou de péril : injustices, dommages, apostrophes injurieuses, tracasseries, méprisons tout cela, et soyons assez grands pour souffrir ces désagréments d’un jour. Nous n’aurons pas regardé derrière nous, et, comme on dit, tourné la tête, que la mort sera là.

Avec ces simples mots, Sénèque nous rappelle que nous sommes des êtres mortels, que notre temps à vivre n’est pas illimité et qu’il est idiot de le gâcher pour des moments qui n’en valent pas la peine. Il arrive à nous faire revenir au fondement de la vie humaine.
Déjà tout au long de la lecture vous sentez un changement qui s’opère en vous mais ce dernier est bien plus flagrant en fin d’œuvre.

Ainsi en lisant ce livre, j’ai vraiment appris à penser autrement, à être dans un autre état d’esprit que ce que je pouvais expérimenter auparavant. On apprend vraiment à se détacher des situations mais surtout à les percevoir sous un autre angle.
La réelle clé du stoïcisme est la perception : une même situation selon votre état d’esprit peut avoir un goût d’enfer ou de paradis.

Si l’on prend le célèbre exemple de la tarte Tatin : ne dit-on pas qu’elle a été inventée par étourderie d’une des deux sœurs Tatin. Cette jeune femme aurait pu culpabiliser de son erreur, au lieu de cela, elle a choisi de voir cette modification de parcours comme une chance à saisir pour créer quelque chose de nouveau. Et ce pari fut gagnant car aujourd’hui la tarte Tatin est un dessert très prisé.

Alors, pensez à moi la prochaine fois que quelque chose ne se passe pas exactement comme vous l’aviez planifié ou comme vous le souhaitiez, que vous n’avez pas obtenu telle note ou réussi telle activité. Et demandez-vous si cet « échec » ne pourrait pas être transformé en coup d’essai pour autre chose.

En conclusion, même si l’on ne peut effacer la colère de nos vies, il est en notre pouvoir de l’amenuiser au maximum. Que ce soit en lâchant prise face aux situations qui nous sont extérieures ou encore en apprenant à mieux se connaître. En effet, cela est futile d’avoir de la haine pour son prochain car comme nous le rappelle à juste titre Sénèque, nous sommes tous mortels et notre temps à vivre doit être utilisé intelligemment. Alors à vous de jouer,  faites comme moi et adoptez le mantra : Lire Sénèque ou apprendre à lâcher prise.

Mélusine Aquilotti

2 réflexions sur “Lire Sénèque ou apprendre à lâcher prise

  • Amélie DEMARTHE

    Hyper intéressant. Bravo Melusine, et merci de nous offrir à lire le fruit de cette lecture et de ton analyse.

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