L’épidémie mondiale de myopie
On entend souvent dire que nous serons bientôt toutes et tous myopes. Si pour l’heure, cette affirmation reste un mauvais rêve, elle n’est cependant pas totalement dénuée de fondement à plus ou moins long terme. En ce début de XXIe siècle, l’épidémie mondiale de myopie constitue un défi majeur de santé publique qui préoccupe de nombreux chercheurs et ophtalmologistes des pays industrialisés. En effet, d’ici 2050, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cette affection de l’œil devrait concerner près de 50 % de la population de la planète, soit 5 milliards d’individus, dont 10 à 20 % qui souffriront de formes graves, pouvant aller jusqu’à la malvoyance voire la cécité.
Une évolution récente de nos modes de vie à l’origine de l’épidémie mondiale de myopie
► La myopie : qu’est-ce que c’est ?
Elle est la conséquence d’un globe oculaire qui s’agrandit. On parle de trouble réfractif affectant la vision de loin. Elle débute généralement dès l’enfance, mais peut apparaître plus tardivement dans l’existence, chez le jeune adulte.
Dans l’œil normal, la cornée et le cristallin réalisent une réfraction des rayons lumineux directement sur la rétine au niveau de la macula, zone centrale de la rétine située à l’arrière de l’œil. Cette mise au point permet ainsi la perception d’une image nette.
Chez le myope, la focalisation des images se fait sur un point situé en avant de la rétine. La vision devient floue de loin. Pour que l’image se forme au bon endroit, ce trouble réfractif de la vue nécessite donc le port de verres correcteurs.
L’unité de mesure qui définit le degré de myopie est la dioptrie. Elle quantifie l’importance des défauts optiques.
En France, en 2021, selon l’Institut de la Vision, ce défaut visuel concernerait 20,48 % des enfants âgés de 0 à 18 ans et 37 % des adultes. Soit près de 27 millions de personnes.
En guise de comparaison, seulement 15 % de la population française était myope en 1950 contre 40 % en 2020 et possiblement 50 %, voire 60 % selon les projections les plus pessimistes, en 2050.
► Une explosion du nombre d’heures passées sur les écrans chez les enfants et les adolescents
Selon un rapport d’avril 2024 sur l’usage des écrans chez les enfants et les adolescents, les spécialistes s’inquiètent des conséquences néfastes de l’exposition prolongée aux écrans en matière de santé visuelle.
En effet, les conclusions sont inquiétantes. Les enfants passent presque autant d’heures – voire sans doute plus, selon les âges – sur les écrans qu’à l’école !
En France, le temps d’écran moyen en 2022 était d’environ 2 heures par jour chez les enfants de 1 à 6 ans, de 3 heures et demie chez les 7 à 12 ans et d’un peu plus de 5 heures chez les adolescents (13 à 19 ans). Dans la tranche d’âge de 1 à 6 ans, cette durée d’exposition a quasiment triplé en une décennie !
► Un manque d’exposition à la lumière naturelle
Tous les spécialistes s’accordent sur ce point : mettre de moins en moins souvent le nez dehors et rester de plus en plus en intérieur, les yeux rivés sur des écrans (ou des manuels scolaires) fait le lit de la myopie.
En effet, chez les enfants et adolescents, le manque de lumière naturelle aggrave le risque de développer cette pathologie par déficit de sécrétion de dopamine, un neuromédiateur indispensable à l’activité normale du cerveau et donc de la vue.
En effet, la dopamine, dont la production est favorisée par l’exposition à la lumière du jour, freine la croissance du globe oculaire en longueur, et permet donc de ralentir l’évolution de la maladie.
Dans un contexte d’épidémie mondiale, il est essentiel que parents et professionnels de l’éducation prennent conscience de l’importance :
- de réguler les temps d’exposition aux écrans des enfants et adolescents par la mise en place de mesures éducatives ;
- d’inciter, dès le plus jeune âge, à la pratique d’activités extérieures pour les enfants dans le but d’augmenter naturellement le temps d’exposition à la lumière naturelle.
► La règle « 3-6-9-12 » : des repères pour apprivoiser les écrans
Pour répondre aux questions des parents et des éducateurs, le psychiatre français Serge Tisseron, docteur en psychologie a élaboré en 2008 des balises, diffusées par l’association 3-6-9-12.
Déplorant le peu de solutions proposées pour guider les parents face à la multiplication des écrans, Serge Tisseron a mis au point une série de recommandations, aujourd’hui relayées par un grand nombre d’institutions et de professionnels de la santé et de l’éducation.
En pratique, la méthode « 3-6-9-12 », c’est :
- la télévision, pas avant 3 ans ;
- la console de jeux, pas avant 6 ans ;
- Internet, après 9 ans ;
- les réseaux sociaux, après 12 ans.
Une petite astuce : la règle des 20-20-2 ! Après 20 minutes d’activités en vision de près, les enfants doivent regarder des objets au loin pendant au moins 20 secondes.
Le « myopie boom » : un problème de santé publique majeur
La prévalence croissante de la myopie au sein de la population est considérée comme un problème de santé publique majeur.
► La campagne nationale d’information et de dépistage
Lancée en 2022, par l’Institut d’Éducation Médicale et de Prévention (I.E.M.P.), la première campagne française d’information et de dépistage « Agissons ensemble contre la myopie » vise à sensibiliser l’opinion et les professionnels de santé sur l’épidémie actuelle et les moyens d’agir pour en ralentir sa progression par la prévention, le dépistage précoce et la freination.
Dans un contexte préoccupant, cette campagne fédératrice vise à mobiliser l’ensemble de la société sur la nécessité d’agir au plus vite pour limiter l’ampleur de cette « épidémie » silencieuse.
Ses objectifs sont :
- d’informer l’opinion sur les risques liés à ce trouble de la vision, l’importance de détecter les signaux d’alerte chez l’enfant et sur l’existence de moyens d’agir pour prévenir son apparition ou son aggravation ;
- de favoriser le dépistage précoce chez les enfants et les jeunes adultes ;
- de permettre une prise en charge adaptée et le plus tôt possible ;
- d’inciter les personnes souffrant de formes sévères de la maladie (au-delà de – 6 dioptries) et celles ayant été opérées à se faire suivre régulièrement par un spécialiste de la vue pour limiter leurs risques de complications ;
- de mobiliser les professionnels de santé concernés (ophtalmologistes et pédiatres notamment) afin qu’ils portent à la connaissance des parents ou des jeunes adultes l’existence de moyens de prévenir et freiner la progression de cette pathologie.
► Les solutions thérapeutiques pour ralentir la progression de la myopie
Permettre à ces enfants de bénéficier de moyens de prévention pour ralentir la progression de leur myopie constitue un enjeu de santé publique majeur.
Quatre solutions thérapeutiques ont aujourd’hui fait preuve de leur efficacité. Toutes nécessitent une prescription et un suivi régulier par un spécialiste.
Les verres de freination
Commercialisés en France depuis 2019, les verres de freination de la myopie MiYOSmart™ de l’entreprise Hoya, basés sur la technologie Defocus Incorporated Multiple Segments (DIMS) sont conçus pour éviter l’évolution d’une forme faible ou modérée de ce trouble vers une forme sévère.
En envoyant une partie de la lumière en avant de la rétine, les verres de freination adressent au cerveau un signal d’arrêt à la croissance de l’œil.
Depuis 2021, existent également les verres de freination de Stellest™ d’Essilor qui utilisent la technique Highly Aspherical Lenslet Target (HALT).
Chaque technologie dépend des besoins individuels de l’enfant et des préférences des professionnels de la vue. Les deux marques de verres sont jugées très efficaces, bien que les verres Stellest™ d’Essilor semblent avoir des résultats légèrement supérieurs dans certaines études.
Les verres de freination sont efficaces jusqu’à 60 %.
Les lentilles rigides à porter la nuit (orthokératologie)
L’orthokératologie est une méthode non chirurgicale utilisée pour ralentir la progression de la myopie. Elle consiste à porter la nuit des lentilles rigides qui modifient temporairement la forme de la cornée, afin de corriger la vision pendant la journée.
Cette technique est particulièrement efficace pour les enfants et les adolescents, réduisant l’évolution de la maladie en plus d’améliorer l’acuité visuelle.
Les lentilles souples de jour
Les lentilles freinatrices souples de jour sont un autre type de lentilles permettant de ralentir la progression de la myopie, notamment chez les enfants et les adolescents. Ces lentilles souples spéciales permettent de corriger la vision tout en modifiant la façon dont la lumière pénètre dans l’œil, réduisant ainsi le stress optique.
Une adaptation est nécessaire pour un port confortable et efficace. Cette phase d’accommodation va habituer le jeune porteur à la sensation des lentilles souples et permettre de s’assurer qu’il les tolère bien.
Les collyres à base d’atropine
Les collyres à base d’atropine, en microdosage, sont utilisés pour freiner l’évolution de la myopie chez les enfants. Ce traitement, administré quotidiennement, est efficace pour ralentir la progression de ce trouble visuel sans toutefois le corriger définitivement.
En France, ce collyre est accessible uniquement dans certaines pharmacies hospitalières sur prescription.
Ces dix dernières années, la recherche en matière de freination de la myopie a fait des pas de géants. Demain, selon une étude chinoise publiée en 2022 dans la revue Ophtalmology, c’est peut-être la lumière rouge qui viendra au secours des yeux myopes.
Pour l’heure, même si l’épidémie mondiale de myopie demeure préoccupante, elle n’est cependant pas inéluctable. Des solutions existent pour la freiner et, pourquoi pas, à l’avenir, tenter de la stabiliser.
Emilie Caminade
