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Espéranto : émergence et avenir

Née d’un bel idéal, celui de permettre aux peuples de dialoguer plus facilement les uns avec les autres, l’espéranto se veut une langue construite et universelle. Réputée langue la plus facile à apprendre, elle incarne la possibilité d’une langue commune, égalitaire, neutre et accessible à tout un chacun. Dans le contexte du Brexit, amorçant un renouveau politique de l’Europe, une telle langue commune a-t-elle un avenir ? Les ambitions humanistes de son père fondateur Zamenhof ont, semble-t-il, traversé les époques. Cette langue trouve aujourd’hui un nouvel essor et lance le débat, délicat et complexe, de l’intérêt d’une langue commune pour les Européens.

Espéranto : émergence et avenir - Le blog du hérisson

Histoire d’une langue construite

• Émergence de l’espéranto

Créée il y a 150 ans et pourtant encore largement méconnue, l’espéranto a parcouru un chemin sinueux depuis son invention. À l’inverse d’une langue naturelle, il s’agit d’une langue construite, forgée de toute pièce par un ophtalmologue polonais : Ludwig Zamenhof. Le “Doktoro Esperanto » (traduit par “le docteur qui espère”), qui donnera son pseudonyme à son invention, a eu l’idée de cette langue à la fin du XIXème siècle.

Ses intentions sont nobles et au départ l’espéranto est la langue de l’Utopie. Le contexte historique est celui d’un territoire divisé en plusieurs communautés. Zamenhof vit en Pologne, occupée alors par la Russie. Plusieurs communautés cohabitent : juifs parlant le yiddish, germanophones, russophones. Les communautés ne parlant pas le russe subissent des discriminations de toutes sortes. Il se lance alors dans la quête d’une langue commune, visant à réduire les difficultés de compréhension entre les peuples.

L’idée émerge peu à peu et en 1905 se tient même le tout premier congrès mondial d’espéranto à Boulogne-sur-Mer. Cependant, cette envie de langue commune va rencontrer de puissants obstacles, avec l’émergence des nationalismes puis avec la Seconde Guerre mondiale. L’anglais l’emportera ensuite dans les relations internationales et notamment européennes.

• L’espéranto aujourd’hui dans le monde

Il est très complexe aujourd’hui d’obtenir des chiffres fiables et officiels, mais il semblerait qu’environ 2 millions de personnes parlent l’espéranto. Ils sont répartis dans 120 pays.

Inventée par un scientifique et non pas par un linguiste, l’espéranto se cherche une place au milieu des langues naturelles. Complètement artificielle, mérite-t-elle finalement le statut de «langue» ? Elle présente, en tout état de cause, un statut assez particulier et mouvant. Certains espérantistes l’ont désormais transmise à leurs enfants dès leur naissance. Elle peut devenir en ce sens une langue maternelle et évoluer de façon plus naturelle. Elle suit les règles fixées lors de sa création, mais évolue petit à petit avec l’usage, comme toute langue vivante. L’espéranto pose donc de nombreuses questions linguistiques et fait figure d’exception. Elle soulève un questionnement de légitimité tout en représentant un idéal égalitaire.

Les rouages d’une langue facile

• Une simplicité dans la construction

Car en effet, l’espéranto semble promettre une communication plus égalitaire entre les peuples, grâce surtout à sa facilité d’apprentissage. Terminés les exceptions, les cas particuliers, les règles de grammaire complexes aux entorses fréquentes. L’espéranto suit seulement 16 règles grammaticales très simples et logiques. Elles s’inspirent des règles les plus accessibles de plusieurs langues. Le vocabulaire est également issu de différentes langues plutôt indo-européennes : le français, l’anglais, l’allemand et un peu de grec, de russe et d’hébreu. Sa prononciation se veut simple. Pas d’expressions idiomatiques, toutes faites, en espéranto ! Le jeu des terminaisons (-o pour les noms, -a pour les adjectifs, -e pour les adverbes, -j pour le pluriel, etc.) semble assez facile à assimiler. Le vocabulaire se construit par l’utilisation de préfixes et suffixes permettant d’obtenir un panel de termes très précis et très logiques, de façon presque mathématique.

• Apprendre l’espéranto facilement

L’apprentissage de l’espéranto est donc efficace et beaucoup plus rapide que celui d’autres langues. On estime qu’on pourrait arriver à tenir une conversation après 150 heures de cours d’espéranto ! C’est peu. Elle serait donc une langue facile à apprendre indépendamment de la langue maternelle. Et sa construction en fait une langue simple à comprendre et à retenir pour un Européen. Différentes méthodes existent pour apprendre l’espéranto de façon autodidacte. Des clubs d’espéranto proposent des cours. De nombreuses solutions d’apprentissage en ligne sur Internet sont par ailleurs disponibles.

L’espéranto : une langue universelle pour l’Europe

• Quelle langue pour l’Europe du Brexit ?

Le contexte du Brexit amène à s’interroger en profondeur sur le renouveau que l’Europe doit amorcer. Et la question de la langue à utiliser se mêle à cette problématique. Il s’agit d’une question fondamentale pour les pays européens. Avec le Brexit et sans le Royaume-Uni, l’anglais va-t-il disparaître de la Commission européenne ? L’Union européenne va-t-elle continuer à utiliser l’anglais après le départ du Royaume-Uni, même si cette langue est encore pourtant prédominante dans les relations internationales ? La puissance et l’ancrage de l’anglais restent extrêmement solides et il est parlé par une écrasante majorité au sein des instances européennes. Mais on estime qu’à peine un tiers seulement des Européens est capable de s’exprimer en anglais et d’en avoir une bonne compréhension.

La langue la plus parlée en Europe après l’anglais est l’allemand, suivie du français. Afin de ne pas favoriser un pays et de ne pas frustrer les autres, faut-il choisir une langue neutre pour favoriser des échanges paritaires entre les différents pays ?

• La place de l’espéranto en Europe

L’espéranto, facile à assimiler et à l’apprentissage peu coûteux, serait-elle alors une langue plus juste ? Les langues naturelles demandent souvent une immersion pour être assimilées, ce qui nécessite du temps et de l’argent. L’espéranto, en ce sens, viserait à réduire la fracture sociale. Cette langue s’apprend vite, gratuitement, et met tout le monde sur un pied d’égalité. L’anglais qui s’est imposé en Europe est maîtrisé de façon très diverse par les Européens. L’espéranto est à l’inverse une langue qui permettrait à tous les Européens de se comprendre entre eux.

Serait-il alors surprenant de faire le choix d’une langue construite, “supranationale”, n’appartenant à aucun pays, à aucun peuple ? N’était-ce pas le cas du latin après le Moyen-âge, utilisé seulement comme langue de communication et de culture, sans ne plus appartenir à aucun pays ?

On le sent bien, l’Europe devrait réfléchir à cette épineuse question des langues pour trouver la communication la plus juste et la plus efficace entre ses États membres. L’espéranto se positionne de plus en plus comme une solution à étudier et à questionner. Loin d’une langue sans saveur et sans culture (Il existe désormais une musique, une littérature, un cinéma espérantistes.), cette langue construite incarne à elle seule les ambitions égalitaires de l’Union européenne pour ses citoyens. Parmi tous ses atouts le plus séduisant n’est-il pas son accessibilité ? Tout le monde n’est pas obligé d’aller aussi vite, mais la légende dit que Tolstoï aurait été capable de le lire en 2 heures !

Émilie Borjon-Privé

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