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La corrida fait son come-back à Pérols

Voilà une date qui ne risque pas de passer inaperçue au sein du monde de la cause animale : après 20 ans de répit, le sang des taureaux coulera à nouveau dans les arènes de Pérols (Hérault). En effet, le samedi 15 juillet 2023, la corrida fait son come-back à Pérols, et les défenseurs de la cause animale s’insurgent tandis que les aficionados jubilent.

La corrida fait son come-back à Pérols - Le blog du hérisson

Six jeunes victimes

Au total, ce sont six taureaux, des novillos, qui périront le 15 juillet prochain aux portes de Montpellier lors de la Feria des Étangs. Les six jeunes victimes sont issues du redoutable élevage espagnol de Miura et seront sacrifiées par trois toreros français et espagnols. Les mises à mort débuteront à 18h et seront accompagnées d’un lâcher de 100 taureaux dans les rues de la ville. En cause, la décision incompréhensible du maire de la commune héraultaise de laisser les vieux démons du passé refaire surface, puisque cela faisait vingt ans qu’une corrida n’avait pas fait couler de sang à Pérols. L’annonce de l’organisation de la novillada (corrida opposant de jeunes taureaux à de jeunes toreros) est, sans grande surprise, acclamée par les aficionados. L’annonce de l’évènement a eu lieu le mardi 14 février 2023 lors d’une conférence de presse réunissant le maire de la ville Jean-Pierre Rico (UDI), le club taurin Lou Razet ainsi que la société organisatrice de l’événement.

Ce projet est initialement parti d’une envie du maire et de ses collaborateurs d’organiser une tienta (ou tentadero), autrement dit, lépreuve de sélection des vaches et taureaux reproducteurs :

Dans un premier temps, autour d’une table où on organisait la saison culturelle 2023, on a évoqué l’organisation d’une journée taurine espagnole, on a parlé d’une tienta qui aura lieu le 15 juillet à 11h, puis d’un lâcher massif de taureaux dans les rues, la fameuse bandido très prisée des courses camarguaises, avant d’aller plus loin et de se dire, et pourquoi pas une novillada ? se félicite Jean-Pierre Rico.

Inutile de préciser que la nouvelle ravit les aficionados, fermement décidés à ne pas laisser les militants de la cause animale gâcher leur plaisir :

Seule une danse de la pluie réussie pourra nous arrêter ! confie le maire de Pérols au quotidien régional Midi Libre.

Un événement en petit comité

Avec une capacité d’accueil de 1700 places, les arènes de Pérols sont les plus grandes de la Métropole de Montpellier, mais force est de constater qu’il convient de relativiser la joie des aficionados ; il s’agit avant tout d’un événement en petit comité. Le prix de ce spectacle mortuaire a été fixé à 40 euros pour les gradins côté soleil, et à 30 euros pour ceux de l’ombre.

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Le taureau inratable au bout de la RD 66 ©M-H

Un prix somme toute abordable pour un spectacle aussi funeste que rétrograde. La date de la mise en vente des billets pour cet événement tauromachique sera connue incessamment sous peu puisqu’elle devrait en principe être communiquée le vendredi 24 mars 2023. Et tant que nous parlons d’argent, Jean-Pierre Rico et son premier adjoint Mario Marcou ne sont pas peu fiers d’annoncer :

Cette corrida est une opération blanche, nous avons bouclé l’intégralité du budget grâce à des partenariats et des mécènes, c’est une opération sèche pour la commune.

Face à l’agitation provoquée par l’annonce de la nouvelle sur les réseaux sociaux entre les pro-corrida et les anticorrida, Jean-Pierre Rico a déjà pris des mesures afin que l’événement puisse se dérouler dans de bonnes conditions :

Il y aura le dispositif de sécurité habituel avec la police nationale et municipale, des agents de sécurité, mais le risque d’éventuelles perturbations est pris en compte, nous avons d’ores et déjà pensé à des mesures pour que la commune soit protégée, notamment par des manifestations avant et pendant la corrida. Les trublions seront tenus à distance. Il faudra également gérer les fans de ce spectacle, de retour après vingt ans d’absence, qui n’auront pas pu acheter leur billet et donc qui ne pourront pas pénétrer dans l’enceinte.

Une décision décriée par les associations de protection animale

Réputés comme étant les plus dangereux, les taureaux de l’élevage Miura n’en sont pas moins protégés. En effet, la SPA et le parti animaliste ont d’ores et déjà prévenu qu’ils pourraient ester en justice à la première goutte de sang versée. Le président de la SPA, Jean-Charles Fombonne, estime en effet :

L’intention de reprise après 20 ans d’interruption ne correspond pas au cadre fixé par l’article 521-1 du Code pénal et place donc ce projet hors la loi.

Pour rappel, cette loi stipule :

Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Une décision que décrient donc légitimement les associations de protection animale, puisque comme le rappelle l’élu du parti animaliste de Montpellier Eddine Ariztegui, lescorridas sont interdites en France au titre des “sévices graves et actes de torture infligés aux animaux”. En effet, seules les courses de taureaux se déroulant dans des lieux où il existe une « tradition locale ininterrompue » sont tolérées, ce qui n’est donc a priori pas le cas de Pérols puisqu’aucune corrida n’y avait eu lieu depuis vingt ans. Cependant, comme le rappelle le maire de Pérols, cette corrida s’inscrit dans un cadre parfaitement légal.

L’exception qui confirme la règle

Plaidant sans l’ombre de la moindre honte pour sa cause, Jean-Pierre Rico fait valoir le fait que “Nos arènes ont 63 ans. Elles ont toujours accueilli des courses camarguaises et longtemps de la tauromachie espagnole”. La jurisprudence semble donc malheureusement pencher en faveur des pro-corridas. En effet, les défenseurs de cette barbarie d’un autre temps invoquent l’exception octroyée aux corridas par l’alinéa 7 (anciennement alinéa 3) de l’article 521-1 du Code pénal :

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie.

Les courses de taureaux font donc figure d’exception qui confirme la règle, puisque s’il n’existait pas cet alinéa 7, elles seraient tout bonnement illégales. Toutefois, bien que constituant bel et bien des actes de cruauté, les auteurs de la corrida sont exonérés des sanctions dont ils devraient faire l’objet en vertu de l’alinéa 1 de l’article 521 du Code pénal, à savoir trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

À l’origine de cette exception, une jurisprudence ancienne, largement relayée dans les régions pratiquant la tauromachie. En effet, dans un arrêt du 3 avril 2000, la Cour d’appel de Toulouse a précisé l’exception jurisprudentielle :

Il ne saurait être contesté que dans le midi de la France entre le pays d’Arles et le pays basque, entre garrigue et méditerranée, entre Pyrénées et Garonne, en Provence, Languedoc, Catalogne, Gascogne, Landes et Pays Basque existe une forte tradition taurine qui se manifeste par l’organisation de spectacles complets de corridas de manière régulière dans les grandes places bénéficiant de structures adaptées permanentes et de manière plus épisodique dans les petites places à l’occasion notamment de fêtes locales ou votives.

Ainsi, les courses de taureaux sont effectivement caractérisées par le Code pénal comme étant illégales et relevant d’un délit puni par la loi partout sur le territoire national, à l’exception de onze départements du sud du pays où ce délit est exempté de peine. D’un point de vue juridique, il s’agit donc d’une immunité. Or, la corrida jouit d’un flou juridique non-négligeable, puisque la notion de “tradition locale ininterrompue” s’avère relativement vague et ne permet pas de délimiter précisément la zone géographique ni la durée requise de l’interruption.

Sur le site du CRAC (Comité Radicalement Anticorrida), il est rappelé à juste titre que la loi Ramarony-Sourbet du 24 avril 1951 permet à la corrida de bénéficier d’une réelle immunité. Cette loi légalise partiellement les courses de taureaux en France, en vertu d’une tradition qui n’en est pas réellement une, puisqu’à l’époque, on parlait de “corrida espagnole”.

Aymeric Caron persiste et signe

Aussi inquiétante soit-elle pour le devenir de la cause animale, l’annonce de cet événement ne semble entamer en rien la détermination d’Aymeric Caron, député LFI de la 18e circonscription de Paris, qui a vainement tenté de faire interdire la corrida au cours de l’automne 2022 au sein de l’hémicycle de l’Assemblée nationale. En effet, mardi 14 mars, Aymeric Caron a persisté et signé sur son compte Twitter en publiant le texte suivant :

Mon combat contre la corrida continue. Je viens d’écrire au président de la commission des lois afin de refaire passer ma proposition de loi dans l’hémicycle. Est-ce que ça fonctionnera ? Le chemin est tortueux et d’abord il faut que le bureau de la commission des lois accepte d’écouter les Français-es qui réclament  à l’écrasante majorité la fin de cette barbarie qu’est la corrida.

Assurant qu’il ne s’agit pas d’une provocation, le maire de Pérols affiche toutefois de manière très explicite sa volonté de “pérenniser” cette corrida.

Nous y travaillons depuis un an. Ce n’est pas une réponse aux oppressions dont sont victimes la Province et le milieu rural. Contrairement aux bobos parisiens qui veulent nous faire manger du foie gras végétal et du saucisson au soja, je pense que nos traditions doivent être respectées.

Des propos stigmatisants et dénigrants qui ne font même plus réagir les défenseurs de la cause animale tant il s’agit là d’une habitude au sein des acteurs de la ruralité et des traditions taurines.

Le projet divise donc plus que jamais, mais Aymeric Caron n’en démord pas et espère toujours « amener les collègues députés à voter l’interdiction » de la corrida.

C’est très incertain, mais c’est une tentative qu’il faut faire, affirme-t-il.

Le député en a profité pour annoncer à l’occasion de ce Tweet que Claire Starozinski, présidente de l’Alliance anticorrida, sera auditionnée par le groupe d’étude de la condition animale.

C’est bien que des députés s’intéressent à ce sujet, même si j’aurais aimé qu’ils se manifestent lorsque, moi-même, j’ai organisé des auditions dans le cadre de ma proposition de loi… j’ai aussi reçu des associations qui voulaient interdire la corrida, mais j’étais seul dans la salle, ironise-t-il. Aucun député n’est venu.

74 % des Français opposés à la corrida

Aux grands mots, les grands remèdes. Le président de la Fédération des luttes pour l’abolition des corridas (Flac), Thierry Hély, a déjà annoncé que son association comptait bien œuvrer afin de marquer les esprits des Péroliens. L’association envisage de recourir à divers moyens de militantisme : distribution de tracts explicites, projection/débat d’un film anticorrida et sensibilisation de Flörsheim am Main, ville allemande jumelée à Pérols. Le 11 mars 2023, des Péroliens ont déjà commencé à distribuer des dépliants d’information anticorrida sur le marché. Une pétition adressée aux habitants sera distribuée dans les boîtes aux lettres et des actions en justice sont envisagées par plusieurs organisations, nous informe le Midi Libre dans un court article du 14 mars.

Alors que les associations de protection animale se révoltent contre l’annonce de cet événement, une écrasante majorité des français est opposée à cette pratique sadique et dépassée. En effet, selon un sondage IFOP publié le 17 novembre 2022, 74 % des français annoncent être opposés aux courses de taureaux et favorables à son interdiction.

Cette étude révèle par ailleurs un fort clivage générationnel : tandis que 89 % des moins de 35 ans se déclarent favorables à l’interdiction des courses de taureaux, il n’y a que 69 % des personnes âgées de 35 ans et plus qui s’y opposent. À noter également, un clivage géographique puisque 80 % des habitants d’Ile-de-France se déclarent en faveur de leur abolition, alors qu’ils ne sont que 63 % dans les communes rurales. Enfin, la question du genre semble également avoir une légère incidence sur ces chiffres étant donné que 77 % des femmes souhaitent son interdiction, contre 70 % des hommes. Un sondage relativement embarrassant pour les aficionados, mais qui ne semble hélas pas suffire à faire cesser cette “tradition” rétrograde.

Comment peut-on défendre la corrida en 2023 ?

Tradition pour les uns, torture pour les autres, il va sans dire que la tauromachie divise profondément. Face à l’opposition, le monde taurin met en avant l’argument de la culture locale. La liberté culturelle et l’identité des territoires, arguments phares des défenseurs des courses de taureaux, ne sauraient cependant suffire à justifier les souffrances inhérentes à un combat perdu d’avance pour le taureau. Cet événement réveille donc une fois de plus l’éternel débat sur ce combat entre l’homme et l’animal.

Jusqu’à présent, on compte 56 villes taurines qui bénéficient d’une exception à la loi qui interdit la pratique sur le territoire national. Selon André Viard, ancien matador, représentant de l’union des villes taurines de France et président depuis 2008 de l’association de lobbying tauromachique intitulée l’Observatoire National des Cultures Taurines, il est inutile de débattre du bien-être animal dans le contexte de la corrida.

Le taureau n’est pas un animal de compagnie. Il a sans doute la vie la plus heureuse et la plus conforme à sa nature. Et il a aussi la mort qui correspond le plus à sa nature, avance-t-il. Pour nous, le fait qu’il meure dans l’arène, c’est la plus grande marque de respect que nous pouvons lui offrir, poursuit-il.

La position d’André Viard et des défenseurs des courses de taureaux se fonde également sur le rejet absolu de l’antispécisme, “qui est le fonds de commerce du député Caron.”, confie-t-il à France 3 Aquitaine.

Dénonçant l’hypocrisie des Français qui  » mangent de la viande, mais ne sont pas prêts à voir la mort », André Viard pointe du doigt le fait qu’il y aurait plus de souffrance dans les abattoirs que dans une arène. Mais cet argument en est-il réellement un ? Peut-on réellement comparer une considération purement alimentaire à la mise-en-scène de l’agonie d’un animal pour le plaisir de certains ? Certes, il y a de la souffrance dans les abattoirs, mais l’on ne saurait ignorer le fossé abyssal entre le citoyen qui, bien souvent, se nourrit sans être conscient des souffrances inhérentes à sa consommation de viande, et celui qui décide de son plein gré d’aller assister à la détresse d’un animal qui n’a, quoi qu’il fasse, aucune chance d’échapper à la mort.

C’est pour cette raison que les abolitionnistes insistent sur le caractère injuste et inégal d’un combat imposant des souffrances à un animal condamné à mort quoi qu’il arrive. Et ils ont raison de récuser l’argument de la tradition, car celle-ci peut tout aussi bien servir à justifier des atrocités telles que l’excision ou la lapidation des femmes infidèles. L’argument des anti est fondé sur une question d’éthique : on ne tue pas un animal pour le plaisir. Et tous se posent la même question : comment peut-on encore défendre la corrida en 2023 ? Il est temps que le régime dérogatoire dont jouissent les courses de taureaux en France depuis 1951 cesse.

Comment est-il encore possible, dans un pays qui se revendique civilisé, qu’une pratique comme les courses de taureaux soit encore autorisée ? Pour rappel, la France fait partie des huit pays du monde où des courses de taureaux sont encore organisées avec l’Espagne, le Portugal, la Colombie, le Mexique, l’Equateur, le Pérou et le Venezuela. Les aficionados brandissent l’argument de la tradition, de la liberté individuelle et de la beauté d’un combat opposant la puissance de la bête à l’intelligence de l’homme, son adresse, l’élégance de ses passes.

Mais pour les anticorridas, la question du respect de la liberté individuelle n’a pas lieu de se poser pour une pratique contraire à la morale. Certes, il relève de la liberté de chacun d’assister ou non à une course de taureau. Mais pour les anti, cet argument occulte le fait que le taureau est un être à part entière, doué de sensibilité. Ainsi, les aficionados disent que cette pratique ne nuit à personne, et cela est vrai. Cependant, cette définition semble faire fi d’un problème de fond : qui est cet “autrui” ? La loi précise bien que tout acte de cruauté envers les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité est sanctionné, mais que cette sanction ne concerne pas les corridas. La loi établit donc indiscutablement que les courses de taureaux représentent bel et bien un acte de cruauté et que leur non-interdiction ne repose que sur une exception.

Ainsi, l’argument du respect des libertés individuelles défendu par les aficionados est irrecevable, puisqu’en ce qui concerne la corrida, il est question de moralité, et en l’occurrence, l’immoralité de cette pratique ne fait pas l’ombre d’un doute. Postuler que l’interdire serait un recul des libertés individuelles consiste donc en la négation d’un problème bien plus profond : la corrida est une pratique profondément immorale. En effet, une tradition cesse d’être morale lorsqu’elle implique la souffrance physique ou psychique d’un être humain ou d’un autre animal.

En outre, l’argument du maintien d’une tradition, si cher aux aficionados, peut également être écarté dans la mesure où la discussion doit porter non pas sur la nature traditionnelle de la corrida, mais sur l’immuabilité d’une tradition. D’un point de vue historique, de nombreuses traditions ont disparu, car une tradition n’a pas pour vocation à être éternelle. Les traditions peuvent être remises en question lorsqu’elles ne correspondent plus aux critères sociétaux contemporains. Les courses de taureaux n’étant plus conformes aux valeurs défendues aujourd’hui, comme en témoignent les 74 % de français se positionnant en faveur de son abolition, il est donc légitime de questionner son maintien.

Laura Amet

Torturer un taureau pour le plaisir, pour l’amusement, c’est beaucoup plus que torturer un animal, c’est torturer une conscience, dénonçait déjà Victor Hugo.

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