Science

Un univers à onze dimensions

Netflix adaptera dans le courant de l’année 2023 Le Problème à trois corps, de Liu Cixin. Dans cette trilogie de science-fiction chinoise, nous évoluons dans un univers à onze dimensions. D’où vient l’inspiration de son auteur ? S’est-il fondé sur de véritables hypothèses scientifiques ? Quelles sont-elles ?

Un univers à onze dimensions - Le blog du hérisson

Un peu d’histoire de la physique

En 1915, Albert Einstein révolutionne la physique de l’infiniment grand en proposant son interprétation de la gravité dans la théorie de la relativité générale. Quelques années plus tard, Niels Bohr et plusieurs autres physiciens mirent au point la physique quantique qui explique l’infiniment petit.

Dès lors, réunir ces deux théories sous la même bannière s’est transformé en obsession pour un bon nombre de scientifiques.
Ceux-ci sont en effet confrontés à de sérieux problèmes lorsqu’ils essaient d’appliquer la relativité à l’infiniment petit : toutes les valeurs calculées tendent vers l’infini. On ignore par exemple ce qui se passe au voisinage d’une étoile très massive qui s’est effondrée sur elle-même au fond de son propre puits de gravité en formant un trou noir. L’espace-temps s’y réduit à un seul point dénommé singularité. Les événements qui s’y produisent ne peuvent pas être expliqués par la théorie de la relativité.

De son côté, la physique quantique décrit l’infiniment petit sous la forme de particules élémentaires qui, selon le modèle standard, constituent l’univers.
Or, celle-ci s’avère incapable de représenter correctement le phénomène de gravité.

De cette incompatibilité est née la volonté de réconcilier l’infiniment grand et l’infiniment petit. Pour le moment, toutes les tentatives pour découvrir cette « théorie du tout », ou « Saint Graal de la physique », sont restées vaines.

Mais l’une des explications les plus avancées, la théorie des cordes, introduit le concept de dimensions supplémentaires à l’univers pour unifier relativité et physique quantique.

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Le congrès de Solvay en 1927, l’élite des physiciens de l’époque

L’idée de dimensions supplémentaires

Nous sommes habitués à évoluer dans un univers à quatre dimensions perceptibles :

  • La première : elle est généralement représentée par une ligne qui relie deux points. Elle a une longueur, mais pas de largeur ni de hauteur.
  • La deuxième : elle a une longueur et une largeur pour créer une zone définie, mais n’a pas de hauteur. Elle est plate comme une feuille de papier ou un écran d’ordinateur.
  • La troisième : c’est celle dans laquelle nous expérimentons le monde qui nous entoure, avec une longueur, une largeur et une hauteur. Les objets qu’elle englobe, comme les cubes ou les sphères, contiennent un volume.
  • La quatrième : C’est le temps qui prolonge notre monde physique en y incorporant des événements. Ceux-ci permettent aux objets classiques d’évoluer, de changer. Ce concept joue un rôle clé dans la théorie générale de la relativité.

En 1919, le mathématicien Theodor Kaluza fit une surprenante découverte lorsqu’il ajouta une hypothétique cinquième dimension enroulée sur elle-même aux équations de la relativité. Les conclusions habituelles de la théorie n’avaient pas été modifiées, mais avec cette nouvelle variable, une formule différente, qui reproduisait les équations de l’électromagnétisme, était apparue.
Disposer de dimensions supplémentaires avait donc apparemment pour conséquence une potentielle unification des théories de la physique.

Kaluza ne réussit pas à obtenir de résultats plus probants. Pourtant, quelques décennies plus tard, un autre scientifique, Oskar Klein, tenta de donner à l’idée de Kaluza une interprétation en matière de mécanique quantique. Il découvrit que si cette cinquième dimension responsable de l’électromagnétisme existait, elle devait effectivement être écrasée, enroulée sur elle-même (comme Kaluza le pensait), mais beaucoup plus petite, jusqu’à 10-35 mètres.

Dans les années soixante, la théorie des cordes comme possible théorie du tout a émergé. Les scientifiques ont très rapidement compris que son bon fonctionnement nécessitait des dimensions supplémentaires autres que les quatre auxquelles nous étions habitués. C’est ainsi que la vieille thèse de Kaluza et Klein refait surface.

💡 Cette idée est-elle aussi folle qu’elle en a l’air ?

La théorie des cordes

Imaginez les cordes comme de petites boucles de filaments tellement minuscules qu’elles seraient simplement assimilables à des points. Elles vibreraient selon différents modes, de la même manière que vous pouvez obtenir différentes notes d’une corde de guitare.
Les scientifiques pensent que chaque mode de vibration d’une corde serait lié à un type de particule différent. Ainsi, toutes les cordes qui vibrent dans un certain sens sont des électrons, toutes celles d’une autre façon sont des photons, et ainsi de suite. Ce que nous voyons comme des collisions de particules serait, dans cette théorie, un groupe de cordes qui fusionnent et se séparent.

Ainsi les cordes constitueraient les briques élémentaires de la réalité. Mais pour que les calculs fonctionnent, il doit y avoir plus de quatre dimensions dans notre univers. C’est parce que notre espace-temps habituel ne donne pas assez de « place » aux cordes pour vibrer de toutes les manières dont elles ont besoin. Elles ne peuvent pas s’y exprimer pleinement pour représenter toutes les variétés de particules de notre monde.

Au fil des années, plusieurs théories des cordes sont nées, toutes nécessitant un nombre différent de dimensions supplémentaires. Aujourd’hui, la théorie M, proposée en 1994 par Edward Witten, et qui les unifie toutes sous la même bannière, en requiert onze.
Mais lorsque vous regardez autour de vous, vous ne voyez que les trois dimensions spatiales habituelles et celle du temps. Vous êtes à peu près sûrs que si l’univers en avait plus de quatre, vous l’auriez déjà remarqué.
Il suffit en fait de conjecturer qu’elles sont enroulées sur elles-mêmes, comme Klein l’avait fait.

Imaginez un fil électrique. Si vous l’observez de loin, il n’est rien de plus qu’une ligne à une dimension, sur laquelle vous pourriez vous déplacer dans deux directions différentes. Si vous vous rapprochez très près, vous voyez que c’est en fait un cylindre, c’est-à-dire une surface en 2D repliée sur elle-même. Vous pouvez y circuler de droite à gauche, mais aussi en faire le tour.
De la même manière, quand vous évoluez dans notre espace-temps habituel, vous faites des milliards et des milliards de fois le « tour » de ces dimensions enroulées.

Mais comment celles-ci s’enroulent-elles dans la théorie des cordes ? Pas sous la forme de cylindres, mais sous celle d’objets mathématiques extrêmement complexes appelés variétés de Calabi-Yau, d’après le nom des deux physiciens qui les ont découvertes. Le problème, c’est qu’il n’y a pas qu’une seule configuration possible d’enroulement, mais… 10 200 000.

Et chacune d’elles affecte la façon dont vibrent les cordes, donc le comportement de celles-ci dans le monde macroscopique. Chaque choix de variété conduit à un univers distinct avec sa physique particulière.
Ainsi, une seule variété peut donner naissance au monde tel que nous le vivons. Mais laquelle ? Malheureusement, la théorie des cordes ne peut pas encore nous donner de réponse. Nous en sommes réduits à chercher où nous nous trouvons dans le multivers de tous les univers possibles prédits par les diverses variétés.

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Modèles d’espaces de Calabi-Yau, Maxawake ©Reddit

Pour résumer, Liu Cixin s’est donc bien appuyé sur une théorie extrêmement sérieuse pour décrire un univers en onze dimensions. Un des buts de la littérature de science-fiction est de se fonder sur de véritables faits scientifiques pour faire rêver ses lecteurs. La trilogie du Problème à trois corps remplit à merveille cette mission.

Frédéric Renversez

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