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Les yōkai : créatures fantastiques du Japon

Au pays du Soleil-Levant, il existe un large éventail d’entités surnaturelles, tantôt salutaires, parfois nuisibles, qui se manifestent quotidiennement dans le monde des vivants. Mais alors, que font-elles et qui sont-elles exactement ? Pour le savoir, plongez dans l’univers fascinant de ces créatures fantastiques du Japon : les yōkai.

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Les yōkai, c’est quoi ?

► Un concept spirituel et culturel propre au Japon

La signification du mot yōkai

Que signifie le mot yōkai (妖怪) ? Ce terme spécifique au Japon ne peut pas se traduire littéralement en français. Ainsi, pour mieux comprendre cette notion, on l’associe aux idées suivantes : « esprits », « monstres », « fantômes », « apparitions étranges » ou encore, « évènements mystérieux ». Bref, des comparaisons évocatrices faisant écho à l’imaginaire du folklore occidental, même s’il existe quelques subtilités.

Notez bien qu’au Japon, tous ces démons et manifestations mystiques ne sont pas forcément maléfiques. Au contraire, certains d’entre eux se montrent bienveillants, allant même jusqu’à représenter de véritables porte-bonheur. Quoi qu’il en soit, dans la culture nippone, ces entités constituent le socle sur lequel repose toute la conception du surnaturel.

Des esprits à l’origine d’évènements étranges

Selon les croyances nippones, les yōkai, dotés de pouvoirs, provoquent des évènements étranges et inexpliqués qui perturbent la vie quotidienne des Japonais. À la maison, ces mystères se matérialisent par des portes qui claquent, des sols qui grincent, des lumières qui s’éteignent spontanément, des objets qui se déplacent ou se volatilisent, etc. À plus grande échelle, il peut s’agir d’échos dans la montagne, d’incendies ou de catastrophes naturelles.

En effet, le pays est régulièrement soumis aux forces et aux caprices de la nature, interprétés comme étant la manifestation de créatures en colère. Tel est le cas des tempêtes, des tremblements de terre ou des tsunamis. Selon le peuple nippon, ces intempéries peuvent être provoquées par différents yōkai comme Bake-kujira, l’esprit vengeur d’une « baleine fantôme » ou Namazu, un gigantesque poisson-chat.

Dès lors, on comprend que ces esprits servent à donner un nom et une image aux phénomènes irrationnels, hostiles ou inoffensifs, qui se déroulent aux quatre coins du pays. Ouvrez grand les yeux, car ces entités surnaturelles sont partout : en ville, à la campagne, mais aussi dans les forêts, les montagnes, les rivières et la mer.

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Extrait du rouleau peint Bakemono no e : Umibōzu déclenche les tempêtes en mer

► Des êtres surnaturels issus de doctrines asiatiques

Pour comprendre l’omniprésence de ces êtres surnaturels, il faut se tourner vers les deux principales religions du Japon : le shintoïsme et le bouddhisme. La religion shinto dont le nom signifie « la voie des dieux » est directement apparue dans l’archipel. Elle repose sur le chamanisme (culte de la nature) et sur l’animisme qui reconnaît en chaque chose, la présence d’une âme (êtres vivants, éléments naturels, objets). Ce concept spirituel donne naissance aux « kami », une myriade de divinités de la nature comprenant certains yōkai.

S’ajoutent aux figures du panthéon shinto, celles du bouddhisme. Cette doctrine indienne, basée sur le principe de réincarnation, compte de sages personnes vénérées par les fidèles. Certaines d’entre elles rejoignent le rang des esprits au titre de yōkai. Ainsi, ce syncrétisme shinto-bouddhique couplé à des croyances chinoises explique leur forte présence au sein de la mythologie et de la culture japonaises.

► Une diversité de créatures fantastiques ancrées dans le folklore japonais

Parmi les premières représentations de yōkai, figurent de sublimes rouleaux peints (emaki) illustrant ce célèbre épisode : La procession nocturne des cent démons (Hyakki yagyô). Dans cette ribambelle de créatures originales, place à la diversité ! On retrouve à la fois des personnages anthropomorphes, des silhouettes aux formes animales ou imaginaires, mais aussi des chimères, véritables combinaisons d’individus et d’objets hybrides. Certains monstres ont des allures comiques, d’autres se montrent plutôt espiègles ou terrifiants.

Alors, que font tous ces êtres surnaturels dans ce cortège carnavalesque ? Selon une croyance japonaise du Moyen Âge, chaque année, les yōkai se réunissaient certaines nuits d’été afin de parader tous ensemble dans les rues des villes et des villages. Le défilé, rythmé par des chants et des cris endiablés, obligeait les humains à se barricader chez eux, sous peine de disparaître à jamais ou de mourir subitement.

Cette fameuse histoire est restée gravée dans les mémoires parmi tout un panel de contes hilarants ou effrayants. En effet, les rumeurs, les anecdotes locales et les illustrations de divers artistes n’ont jamais cessé d’alimenter le folklore japonais. Aujourd’hui, on dénombre des centaines de créatures fantastiques monstres, fantômes, animaux, végétaux, objets mouvants qui s’invitent aussi dans les mangas et les anime japonais. Sans plus attendre, découvrez les plus populaires d’entre elles !

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Extrait du rouleau La procession nocturne des cent démons de Sumiyoshi Hirotsura, XIXe siècle

Quels sont les principaux yōkai du folklore japonais ?

► Les monstres populaires tant fascinants que terrifiants

Kappa, le yōkai star qui fait du remue-ménage

Kappa est une vraie star parmi tous les yōkai ! Avec sa peau verte, ses membres palmés et sa carapace de tortue, il a des allures d’amphibien. Au sommet du crâne, sa tonsure accueille un trou rempli d’eau permettant de le maintenir en vie. En fonction des cas et des époques, il peut se montrer drôle, espiègle ou carrément féroce.

Autrefois, Kappa attirait les humains dans les cours d’eau afin de les noyer, les dévorer, voire même, violer les femmes qui s’y baignaient. Aujourd’hui, il est un peu plus sympa, allant jusqu’à sauver des enfants de la noyade. Face à son imprévisibilité, il vaut mieux l’éviter en usant de différentes astuces. Soit vous lui donnez un concombre, son mets favori. Soit vous pétez pour le faire fuir ou bien inclinez-vous devant lui à la manière des Japonais. Assurément, Kappa vous rendra la politesse et perdra son énergie vitale en déversant l’eau de sa tête sur le sol.

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Un jeune garçon pète sur des kappa afin de les repousser, Tsukioka Yoshitoshi, XIXe siècle

Oni, le pire des monstres fantastiques

Ce monstre anthropomorphe, doté de crocs et de cornes, n’est pas sans rappeler la figure du diable. Seulement, ce géant de 3 mètres de haut n’a pas systématiquement la peau rouge. Celle-ci peut être de couleur bleue, noire ou jaune. Dans tous les cas, Oni est vêtu d’un pagne en fourrure de tigre et tient un gourdin entre ses mains. Cet accoutrement est peu rassurant !

Ce monstre qui vit loin des êtres humains est quand même craint pour sa force et sa grande cruauté. La légende raconte qu’une fois par an, Oni vient dans le monde des vivants afin de voler leur santé et de les dévorer. Ainsi, par sa physionomie et son comportement, Oni est le pendant des ogres présents dans nos contes de fées.

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À gauche du cortège de yōkai, figure un oni. Extrait d’un rouleau peint, XVIe ou XVIIe siècle

Tengu, un personnage atypique qui marque les esprits

Tengu dont le nom signifie « chien céleste » a pourtant l’apparence d’un être mi-homme, mi-oiseau. Certes, au fil du temps, ce personnage atypique a connu énormément d’évolutions physiques, mais aujourd’hui, il est reconnaissable à son visage écarlate muni d’un très long nez. Parfois, son corps est agrémenté d’une paire d’ailes.

Tout comme sa physionomie, le caractère de Tengu a beaucoup changé. Au début, ce yōkai ennemi du bouddhisme est accusé par les moines de provoquer des guerres. Puis, il devient un peu plus « facile » à vivre, sans pour autant être docile. Eh oui, l’esprit protecteur des montagnes adore faire des blagues qui peuvent être de mauvais goût. Alors, montrez-vous respectueux devant ce champion de kung-fu orgueilleux qui, peut-être, vous enseignera les techniques et les bénéfices des arts martiaux

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Représentations de Tengu. À gauche, œuvre de Hokusai. À droite ©Kimon Berlin

► Les humains aux apparences difformes

Nurarihyon, le maître des yōkai

Nurarihyon est un homme âgé, au visage flétri et qui a une grosse tête. Ce personnage difforme, aussi petit soit-il, est pourtant le grand maître des yōkai. Durant la procession nocturne des cent démons, c’est lui qui défile en tête de cortège. En revanche, chez les gens, il sait se faire discret… Le soir, pendant que tout le monde s’affaire, il s’introduit incognito. Inoffensif, il prend ses aises en fumant la pipe et en buvant du thé. Bref, dans votre fauteuil ou à votre table, Nurarihyon fait comme s’il était chez lui !

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Extrait du rouleau peint Bakemono no e représentant Nurarihyon, XVIIIe siècle

Futakuchi Onna, la femme à deux bouches

Futakuchi Onna est une créature dont le nom signifie « femme à deux bouches ». La première se situe sur le visage, tandis que la seconde se trouve à l’arrière de la tête, cachée par des cheveux qui se muent en serpents. Cette femme insatiable vous laisse bouche bée, d’autant plus qu’elle vide aisément votre garde-manger.

Dans la mythologie japonaise, Futakuchi Onna désigne principalement une mère de famille qui favorise ses propres enfants au détriment de ses beaux-enfants qu’elle affame jusqu’à causer leur mort. Par ailleurs, rassasier cette bouche est nécessaire pour l’empêcher de dire des insultes et des secrets… En voilà un horrible monstre qui ne mâche pas ses mots !

Futakuchi Onna, la femme à deux bouches - Le blog du hérisson
Extrait d’une illustration représentant Futakuchi Onna, Takehara Shunsen, XIXe siècle

Rokurokubi, la créature à la tête baladeuse

Rokurokubi est un être humain qui a la tête baladeuse et plutôt deux fois qu’une ! En effet, il existe deux versions de cette créature qui, généralement, ressemble à une femme. Souvent, son cou flexible s’allonge pendant la nuit, mais il arrive que sa tête flottante se détache complètement de son corps, ce qui en fait alors un Nukekubi. Quoi qu’il en soit, cette tête aime boire l’huile des lampes et aspirer l’énergie vitale de ses victimes. Face à ce comportement vampirique, veuillez garder votre sang-froid.

Rokurokubi, la créature à la tête baladeuse - Le blog du hérisson
À gauche, Rokurokubi par Sawaki Sūshi. À droite, Nukekubi issue du Bakemono Zukushi

► Les tsukumogami, de fabuleux objets animés

Selon d’anciennes croyances nippones, les objets qui atteignent l’âge de cent ans deviennent des yōkai. En japonais, on parle de tsukumogami, signifiant littéralement « esprit de 99 ans ». Une fois animés, ils se dotent de bouches, d’yeux, de mains, de pattes, et d’une bonne dose d’énergie. Alors, prenez garde aux bibelots mécontents que vous avez maltraités, délaissés ou jetés, car ils sauront très bien se venger.

Afin de vous aider à les identifier, voici une liste des principaux tsukumogami :

  • Bakezôri, le « monstre-sandale ».
  • Kasa-obake ou Karakasa, le parapluie cyclope unijambiste.
  • Chōchin obake, la lanterne et Burabura, le lampion en papier.
  • Seto Taisho, la vaisselle ébréchée ou inutilisée.
  • Biwa-bokuboku, le luth et Koto-furunushi, la cithare japonaise.
  • Boroboroton, le futon déchiré qui s’enroule autour de son propriétaire la nuit pour l’étouffer.

Tous ensemble, ces obake (« choses qui changent ») comprenant des outils, du linge, des instruments de musique, etc., peuvent faire un raffut de tous les diables.

Les tsukumogami, de fabuleux objets animés - Le blog du hérisson
De gauche à droite : Biwa-bokuboku, Seto Taisho, Boroboroton. Toriyama Sekien, XVIIIe siècle

► Les animaux, de véritables virtuoses de la métamorphose

Bakeneko et Nekomata : des chats-yōkai tout-puissants

Au Japon, lorsque les chats atteignent un certain âge, ils peuvent devenir des créatures maléfiques dont la taille et les pouvoirs surnaturels croissent au fil du temps. Les Bakeneko sont des êtres farceurs qui commettent des actes plus ou moins atroces. Certains n’hésitent pas à prendre l’apparence de leurs maîtres ou à les dévorer afin de prendre leur place. D’autres déclenchent des incendies dans les habitations grâce à leurs longues queues qui se transforment en véritables torches.

Tous ces pouvoirs dangereux se retrouvent dans la version encore plus redoutable du Bakeneko ; celle des nekomata. Reconnaissables à leur double queue, ils mènent systématiquement des projets criminels envers l’espèce humaine. Dans les deux cas, ces chats-yōkai peuvent marcher sur deux pattes, danser, parler le langage des humains, et même, les manipuler comme de vulgaires marionnettes. Alors, ces félins ne seraient-ils pas incontestablement les maîtres du monde ?

Bakeneko et Nekomata : des chats-yōkai tout-puissants - Le blog du hérisson
Estampe montrant de puissants chats-yōkai parmi les Hommes, Utagawa Kuniyoshi, XIXe siècle

Tanuki, un animal yōkai aux facultés incroyables

Tanuki désigne à la fois un yōkai et un mammifère endémique du Japon. Il s’agit du chien viverrin, un canidé qui ressemble fortement au raton laveur. Cet animal yōkai est un esprit des forêts qui se montre souvent drôle et malicieux, mais jamais dangereux. Au contraire, de nombreuses statues de tanuki porte-bonheur trônent devant les commerces.

Sa singularité ? La taille hors normes de ses testicules magiques qu’il utilise comme divers outils selon ses besoins : arme, parapluie, filet de pêche, cape, tambour, parachute, etc. Avec cet énergumène, place à l’imagination d’autant plus qu’il s’agit d’un bakemono (ou obake) qui se métamorphose tout en vivant avec et comme les humains ! Ces facultés incroyables et très pratiques sont, en partie, visibles dans le célèbre film d’animation Pompoko.

Tanuki, un animal yōkai aux facultés incroyables - Le blog du hérisson
Ici, les tanuki pratiquent la musculation et la pêche avec leurs testicules, Kuniyoshi, XIXe siècle

Kitsune, le renard aux puissants pouvoirs

Kitsune est le nom japonais donné au renard roux. Personnage principal de nombreuses fables, il peut se montrer très protecteur ou sournois. Bienveillant, il se fait le messager d’Inari, la divinité du riz, du commerce et de la fertilité dans la religion shinto. À l’inverse, le kitsune malveillant commet des actes redoutables pour punir les Hommes.

Ce renard est pourvu de puissants pouvoirs de divination, d’incarnation et de métamorphose. En tant qu’obake, il peut se transformer à volonté, notamment en belle jeune femme afin de duper autrui. De plus, cet animal surnaturel possède une intelligence et une espérance de vie extraordinaires. En vieillissant, le kitsune gagne de la puissance et des queues, jusqu’à en obtenir le nombre maximal. On parle alors de kyūbi no kitsune, à savoir le « renard à neuf queues ». Tiens donc, ce sublime goupil ne vous rappellerait-il pas un illustre Pokémon ?

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Illustrations de kyūbi no kitsune par Hokusai (à gauche) et du Pokémon Feunard (à droite)

Incroyable ! Les yōkai, créatures fantastiques du Japon, n’en finissent pas de nous surprendre. Pour autant, vous savez désormais que :

  • Ces esprits sont le fruit de croyances multiples originaires d’Asie.
  • Ils servent à personnifier des évènements (sur)naturels inexpliqués.
  • Il s’agit d’entités protéiformes (anthropomorphes, animales, chimériques, etc.).
  • Ces monstres possèdent des pouvoirs magiques et des personnalités ambivalentes.
  • Ce sont les héros de nombreuses histoires transmises de génération en génération.
  • Ils évoluent constamment selon les époques, les régions et les courants artistiques.

Aujourd’hui encore, certains yōkai disparaissent au profit de nouveaux esprits. D’ailleurs, faites connaissance avec d’autres figures légendaires du folklore japonais en admirant l’œuvre fabuleuse du dessinateur Matthew Meyer.

Oriane Chatellier

2 réflexions sur “Les yōkai : créatures fantastiques du Japon

  • Kos Cynthia

    Sujet plutôt bien amené et accessible à tous.
    Cette synthèse, concise et précise à la fois, permet de découvrir un univers tout à fait méconnu du grand public en donnant l’envie de s’y intéresser plus profondément.
    Les illustrations de qualité aiguisent la curiosité.
    L’intérêt du rédacteur pour son sujet est grandement perceptible.

    Félicitation pour ce travail de recherche et à la qualité de la présention.

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