Bien-être | Cuisine

L’anosmie, un handicap olfactif invisible

Vous êtes-vous déjà demandé ce que serait votre vie si vous ne pouviez sentir aucune odeur ? Peut-être n’avez-vous même pas pensé que cela puisse être possible. Révélée au grand jour grâce au Covid-19, l’anosmie est peu connue et mal prise en charge. Selon le CNRS, 5 % de la population en souffrirait mais il est difficile d’évaluer véritablement la proportion des personnes qui en sont atteintes. Une journée de sensibilisation et d’action lui est dédiée chaque année le 27 février depuis 2018. Découvrez l’anosmie, un handicap olfactif invisible et en quoi il n’est pas aussi anodin qu’on peut le penser.

L’anosmie, un handicap olfactif invisible - Le blog du hérisson
©Richard Ecsedi

Définition de l’anosmie

L’anosmie désigne la perte totale de l’odorat qu’elle soit temporaire ou permanente. Elle n’est transitoire que dans le premier cas. Elle peut être bilatérale ou ne toucher qu’une seule narine.

Elle fait partie des troubles olfactifs avec :

  • l’hyposmie (diminution de l’odorat) ;
  • la parosmie (distorsion d’une odeur) ;
  • la cacosmie (perception de mauvaises odeurs) ;
  • la fantosmie (odeur fantôme).

Elle peut affecter un autre sens, celui du goût et entraîner une perte ou une perturbation de celui-ci. L’anosmie s’accompagne alors d’agueusie. En effet, le mécanisme du goût repose sur le principe de la rétro-olfaction : les saveurs se diffusent dans la bouche et remontent par l’arrière de la gorge. Lorsque l’odorat est altéré, seules les papilles gustatives peuvent aider à déterminer le goût sucré, salé, acide et amer.

Pour vous aider à mieux comprendre ce que cela représente, repensez au dernier rhume bien carabiné que vous avez eu. Vous aviez le nez bouché et étiez incapable de sentir quoi que ce soit. Vous ne pouviez ni sentir le parfum du mimosa en fleurs dans votre jardin, ni l’odeur du gâteau au chocolat que vous veniez de préparer en train de cuire. Et bien, sachez que c’est le quotidien des anosmiques qui vivent cela 24h/24h, 7j/7j.

Afin de rendre ce handicap visible, et de donner la parole à ceux qui en sont atteints comme lui, Jean-Michel Maillard, anosmique depuis l’âge de 40 ans suite à un accident, a fondé en 2017 l’association anosmie.org. Dans une interview réalisée par Sanofi, il révèle qu’il a fallu l’épidémie de Covid-19 pour que le grand public découvre l’existence de ce déficit sensoriel. En effet, des millions de personnes en ont fait l’expérience et pris conscience de l’importance de l’organe “nez” dans leur vie, jusque-là sous-estimé.

Être anosmique, c’est être :

  • amputé d’un sens comme l’aveugle l’est de la vue, ou le muet de sa capacité à pouvoir parler ;
  • porteur d’un handicap sensoriel invisible ;
  • ne pas être reconnu en tant que tel par les autorités médicales ;
  • être isolé.

Diagnostic de ce trouble olfactif

• Consultation chez le médecin traitant

Un trouble olfactif doit être un motif de consultation chez votre médecin traitant. Afin de préciser la nature et l’impact de celui-ci dans votre vie et de prescrire les examens complémentaires à réaliser afin d’établir le bon diagnostic, il va procéder à son anamnèse et à un examen clinique.

Votre médecin va questionner l’apparition de ce symptôme : la disparition de l’odorat est-elle soudaine ou progressive ? Est-elle partielle ou totale ? Etc.

Il va ensuite interroger son histoire : y-a-t-il eu un événement déclencheur ? Existe-t-il des antécédents dans la famille ?

Il va également faire le point sur votre situation médicale et votre hygiène de vie pour compléter son recueil d’informations.

Un test pour déterminer la gravité de la perte d’odorat pourra également être fait à l’aide d’un tampon imbibé d’alcool.

• Consultation chez l’ORL

En fonction des éléments recueillis, pour préciser le diagnostic et orienter la prise en charge, le médecin pourra vous orienter vers une consultation chez un ORL, spécialisé dans les pathologies olfactives. Ce dernier procèdera à des tests spécifiques (mesure de réflexes, olfactométrie, endoscopie nasale) et pourra vous indiquer les examens à réaliser : échographie, radiographie, scanner, IRM cérébral afin de comprendre les origines de votre perte d’odorat.

Le cheminement des odeurs - Le blog du hérisson

Causes de l’absence d’odorat

Il existe plusieurs causes possibles à l’absence d’odorat. Elles sont réparties en 2 catégories :

  • problème congénital ;
  • symptôme d’un trouble acquis.

• Anosmie congénitale

L’anosmie congénitale représente 5 % des cas et résulte d’un dysfonctionnement dans le développement :

  • des bulbes olfactifs : aussi appelés lobes olfactifs, ils ont pour fonction de traiter les messages olfactifs en provenance des neurones récepteurs de la cavité nasale et de les coder.
  •  du tissu olfactif : aussi appelé épithélium olfactif, il est une muqueuse de la cavité nasale et son rôle est de détecter les molécules odorantes.

Dans certains cas plus rares, une maladie génétique en est à l’origine : le syndrome de Kalimann. En effet, une insuffisance hormonale entrave le bon développement des bulbes olfactifs en phase embryonnaire.

Les personnes viennent au monde sans les organes olfactifs permettant de filtrer et d’interpréter les odeurs qui les entourent. Elles sont dans l’incapacité de pouvoir discriminer et détecter la présence d’une odeur, qu’elles soient agréables ou non.

• Anosmie acquise

L’anosmie est considérée comme acquise lorsqu’elle est secondaire à quelque chose. Elle est dans ce cas de figure réversible. L’anosmie acquise se divise en 2 catégories : elle est dite de perception ou de transmission.

Anosmie acquise de perception

Elle est la conséquence d’un problème de perception des informations olfactives. Les organes responsables, c’est-à-dire les nerfs olfactifs, sont altérés.

Plusieurs facteurs peuvent en être la cause :

  • des traitements médicamenteux ou de radiothérapie ;
  • une opération chirurgicale ;
  • l’inhalation de produit nocif provoquant une intoxication ou l’exposition à un produit chimique (peinture, drogue, produit chimique) ;
  • une maladie neurologique ou neuro-évolutive (maladie de Parkinson, d’Alzheimer, sclérose en plaques) ;
  • une infection virale (virus de la grippe, de l’herpès ou du covid-19) ;
  • un traumatisme crânien ;
  • le tabagisme.

L’âge est un facteur aggravant : plus l’on avance en âge, plus nos capacités olfactives diminuent et plus il est difficile de percevoir les odeurs.

Anosmie acquise de transmission

Comme son nom l’indique, il s’agit d’un défaut dans la transmission des informations olfactives. Une anormalité de perméabilité des fosses nasales empêche que les molécules odorantes parviennent jusqu’aux cellules sensorielles. De même, les voies et fausses nasales peuvent être obstruées.

Ce qui peut engendrer un défaut de transmission des odeurs :

  • une affection (rhume) ;
  • une sinusite chronique ;
  • une inflammation (rhinite) ;
  • la déviation de la cloison nasale ;
  • une maladie du nez et des sinus telle que la polypose naso-sinusienne.

En fonction de l’origine de l’atteinte, il est possible d’apporter des solutions.

L’anosmie, un handicap olfactif invisible - Le blog du hérisson
©Battlecreek Coffee Roasters

Conséquences de ce handicap non visible

Qu’elle soit de naissance ou qu’elle survienne brutalement, l’absence d’odorat impacte la qualité de vie de celui qui en est affecté. Il n’en est pas de même si elle est temporaire ou irréversible. Celui pour qui il n’y a aucune possibilité de sentir à nouveau en sera d’autant plus affecté et perturbé dans son équilibre psychique.

Peu étudiées par le corps médical, ce handicap non visible provoque des conséquences à tout niveau.

• Sur le plan émotionnel, social et affectif

Certains s’en amusent mais ne pas avoir d’odorat, ce n’est pas seulement être préservé des mauvaises odeurs. C’est être privé de la possibilité de s’enivrer des odeurs corporelles de son compagnon, de son nouveau parfum, du bon petit plat en train de mijoter dans la cuisine, du bouquet de fleurs fraîchement coupées, du café en train de couler dans la cuisine. Pas de madeleine de Proust.

Ne pas subir la mauvaise odeur corporelle de son collègue de travail peut certes être un avantage mais il est le seul. Ne rien sentir du tout peut engendrer des troubles psychiques et émotionnels graves allant d’une sensation de mal-être à un état dépressif et conduire à l’isolement affectif et social, et le repli sur soi de celui qui en souffre.

Isolement d’autant plus important que ce trouble est mal compris et qu’aucun accompagnement personnalisé n’existe aujourd’hui. Quelques associations existent ici ou là pour tenter de pallier l’indifférence des pouvoirs publics qui tardent à le reconnaître pour ce qu’il est : un handicap.

Symboliquement, vivre sans odorat équivaut à se couper du monde qui nous environne, de notre énergie vitale et libido, de notre essence la plus primitive, de notre instinct de survie. Ne plus sentir équivaut à perdre le désir et le plaisir de vivre.

• Sur le plan gustatif et comportemental

Comme on l’a vu, à cette perte d’odorat, peut être associée une perte ou une altération du goût. Cela peut engendrer des conséquences sur le plan gustatif, déclencher des troubles du comportement alimentaire et majorer une appétence pour les aliments sucrés, plus facilement discriminés ainsi qu’inciter à augmenter la salaison des aliments. Les plats peuvent paraître sans saveur, fade et il est tentant de vouloir rehausser le goût par un ajout de sel ou de consommer de préférence des aliments sucrés.

Ces troubles alimentaires peuvent favoriser une prise de poids.

Aussi, étant dans l’incapacité de détecter l’odeur de la transpiration, celle des autres mais également la sienne, il peut y avoir un risque de négligence de sa propre hygiène corporelle ou vestimentaire. Une tâche se voit sur un vêtement mais pas une odeur de friture, de renfermé ou d’excès de sudation. La personne peut sembler négliger son apparence et avoir des troubles du comportement. Seulement, il faut avoir en tête qu’elle n’a pas toutes ces facultés sensorielles pour s’en rendre compte.

• Sur le plan professionnel

Être privé de son sens olfactif est un handicap et un frein à l’exercice d’un certain nombre d’activités professionnelles. Ne peuvent être effectués les métiers suivants :

  • cuisinier,
  • parfumeur,
  • œnologue,
  • etc.

Le nez est dans ces activités-là l’outil de travail principal. Rien ne peut le remplacer.

• Sur le plan de la sécurité

La personne anosmique peut se mettre involontairement en danger. En effet, comme elle n’est pas alertée par l’odeur de brûlé qu’elle ne détecte pas, elle est incapable de s’apercevoir qu’elle a oublié la casserole sur le feu. Elle ne s’en rendra compte que si le détecteur de CO2 se met en marche ou si de la fumée s’en dégage. Il en est de même pour une fuite de gaz ou toute autre odeur nauséabonde censée donner l’alerte que quelque chose ne va pas et signifier que sa sécurité est mise à mal.

De la même manière, comment reconnaître des aliments avariés ou des odeurs suspectes dans son frigo ? Comment se prémunir d’une intoxication alimentaire si l’on est incapable de repérer une bouteille de lait fermentée et passée de date ?

Les autres sens peuvent être en alerte mais être insuffisants pour limiter les risques et les accidents de la vie quotidienne. La mise en danger est réelle et n’est pas reconnue à sa juste valeur. Elle est minimisée.

L’anosmie, un handicap olfactif invisible - Le blog du hérisson
©santelog.com

Traitements et rééducation de la perte d’odorat

Les patients sont confrontés à un immense vide médical, scientifique et sociétal concernant leur perte d’odorat.
Mais grâce au travail accompli par Jean-Michel Maillard et Thomas Hummel, professeur allemand, ils le sont un peu moins.

Ensemble, ils ont mis au point un protocole de rééducation olfactive, disponible gratuitement sur le site de l’association anosmie.org. Celui-ci s’est fait connaître grâce à la crise sanitaire. Les médecins et les orthophonistes s’en sont emparé pour traiter leurs patients. Il se base sur le principe de la neurogénèse.

Son objectif ? Récupérer la perception de certaines odeurs en stimulant le renouvellement des neurones olfactifs à l’aide de 6 huiles essentielles : clou de girofle, eucalyptus, citron, rose, menthe poivrée et grain de café.

Selon le diagnostic réalisé, la gravité et le caractère réversible de l’atteinte, plusieurs prises en soin médicales peuvent être également envisagées pour traiter l’altération de l’odorat :

  • traitement médicamenteux s’il y a une inflammation des voies respiratoires,
  • intervention chirurgicale si détection d’une tumeur,
  • rééducation orthophonique à l’aide d’huiles essentielles.

Un accompagnement psychologique peut bénéficier aux personnes dont l’origine du handicap est congénital et pour lequel il n’y a rien à faire.

Ce qu’il faut retenir

A ce jour, l’anosmie n’est pas considérée comme un handicap à part entière. Au mieux, elle est reconnue comme résultant du Covid-19 lorsqu’elle en est une conséquence directe. Mais de manière générale, son retentissement sur la qualité de vie de la personne qui en souffre est sous-estimée et aucune prise en charge adaptée n’est proposée. Pour preuve, les appareils d’olfactométrie dont pourraient disposer les ORL pour affiner leur diagnostic ne sont pas remboursés par l’assurance maladie. Heureusement, quelques associations ont vu le jour et proposent un accompagnement à ces porteurs de handicap olfactif invisible.

Katia Crabé

L’anosmie, un handicap olfactif invisible

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *