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Apprendre le Français Langue Étrangère

Dans ma carrière de prof, Français Langue Étrangère ou FLE, j’ai croisé des élèves aux situations très diverses, enfants ou adultes, mineurs isolés ou migrants, plus rarement étudiants diplômés ou chefs d’entreprise. Le plus souvent, je ne maîtrisais pas leur langue et entre apprenants, ils ne se comprenaient pas non plus. Dans ces conditions particulières, le verbe apprendre prend alors tout son sens, toutes ses acceptions. En effet, apprendre dans le langage courant est synonyme d’enseigner mais aussi d’acquérir un savoir. En cours de FLE, enseignants et élèves nous sommes tous différents. Mais, au cours de ma vie de prof, je peux dire que nous avons beaucoup ri, beaucoup appris. Pourtant, je connaissais les épreuves terribles que mes élèves, enfants et adultes, affrontaient au quotidien. J’ai des anecdotes par centaines. Au fil des années, j’ai ainsi acquis quelques certitudes que j’aimerais partager avec vous. Je vous dévoilerai certaines vérités comme : apprendre le Français Langue Étrangère,  avec bison agile, le petit Indien, ce n’est pas forcément une bonne idée !

Apprendre le Français Langue Étrangère - Le blog du hérisson

C’est quoi le FLE ?

L’apprentissage du Français Langue Étrangère ou FLE est réservé à toute personne, enfant ou adulte non-francophone. À tout âge, à tout moment de sa vie, on peut être amené à apprendre une autre langue que sa langue maternelle. On apprend une langue pour des motifs professionnels, par amour, pour le simple plaisir de s’instruire.

Parfois, on ne le choisit pas ou on ne l’anticipe pas. Car la priorité, à cet instant, c’est de fuir, se mettre à l’abri et on ne décide pas toujours sa destination. La France se transforme en terre d’accueil, un asile plus ou moins choisi et pour une durée plus ou moins définie.

Pour celui qui entre dans un pays, communiquer devient indispensable. Mais aussi une nouvelle épreuve à affronter. Comment apprendre une nouvelle langue souvent si éloignée de sa langue maternelle ? Alors que les conditions d’apprentissages s’avèrent rarement excellentes.

Une condition indispensable : l’envie

L’expatrié qui arrive en France, sans papier, en situation de précarité est souvent choquée, en colère, traumatisée par les épreuves traversées.

Pas le temps de souffler, très vite de nombreuses priorités s’imposent. Il faut trouver à manger, de quoi se loger, calmer la peur et l’inquiétude du lendemain. Pour cela, il faut faire avec une administration pas toujours facilitatrice et compréhensive. Les plus chanceux seront dirigés vers des établissements scolaires adaptés, des organismes de formation, des associations caritatives où des professionnels ou des bénévoles, des structures FLE toujours disponibles pour les accompagner. Mais pour tous le parcours est difficile.

Au milieu de ces urgences vitales, il faut très vite communiquer, se présenter, échanger et donc acquérir une langue commune.

Quelles que soient les conditions d’arrivée, l’apprentissage d’une langue demande une grande disponibilité d’esprit, de la patience et de la concentration. Des conditions difficiles à réunir si on a le ventre vide, si on ne sait pas où l’on va dormir et si on vit dans la crainte. Une condition est cependant essentielle : l’envie. Il faut une grande force de caractère et trouver une réelle motivation pour s’asseoir à un bureau et redevenir écolier. Pour cela, une pédagogie adaptée et un enseignant formé sont indispensables. Non, être français ne suffit pas à motiver et accompagner un étranger à apprendre une langue. Intéressons-nous plutôt à leurs réels besoins.

Comment se passe un cours de français ?

• Apprendre pour rencontrer l’Autre

Apprendre le français sert pour les plus jeunes à intégrer rapidement le système scolaire classique, à reprendre des études, apprendre un métier, pour la plupart à répondre à l’administration, trouver un job, ne pas se faire avoir, connaître ses droits.

Pour tous, un cours de français permet surtout d’aller à la rencontre de l’Autre, découvrir une autre culture.

Comme les situations sont multiples, les enjeux uniques, l’enseignement nécessite empathie, écoute et professionnalisme.

• L’enseignement : une affaire de professionnel

Utiliser le manuel de CP de son fils pour apprendre la lecture aux jeunes adultes éthiopiens fraîchement arrivés ne servira pas à grand-chose. Est-il bien utile de fournir un cahier et un stylo sans s’assurer s’ils savent même écrire ? Doit-on forcément tous rester assis derrière nos bureaux sans bouger ? Pendant un cours de français d’autres enjeux sont en cause.

Avoir enseigné à des enfants francophones, toute une carrière, ne suffit pas. L’enseignement du FLE requiert des compétences professionnelles spécifiques. Pour preuve quelques exemples qui m’ont particulièrement marqué.

• Une anecdote amusante, mais pas seulement

C’est là que bison agile intervient.

Il y a quelques années dans un collège du sud-ouest de la France, un de mes élèves, un adolescent afghan de 15 ans suivait en parallèle des cours de français au sein d’une institution très célèbre. Il arrive en cours un jour, énervé, découragé, en perte de confiance totale. Après discussion, il me dit que son autre prof lui a donné une lecture. Son avis est sans appel. Le texte est “**⛔**💀” et le prof “ ‼️ **”. Bon, je vous épargne le langage fleuri qu’il a employé car, c’est bien connu, ce sont les insultes que l’on apprend en premier. Interpellée par sa colère, je lui demande de me montrer le texte. Je découvre, mal à l’aise, un long récit dans un français vieillot racontant l’histoire d’un petit Indien de 5 ans, Bison agile, descendant la rivière à bord de son canoë. Une histoire et un vocabulaire d’un autre temps, aux illustrations très enfantines. Tout dans ces quelques lignes lui renvoyait une image négative, il se sentait pris pour un bébé et dans le même temps le texte soulignait son ignorance. Il ne pouvait absolument pas s’identifier à ce jeune enfant, indien (avec force de plumes et de maquillage), un bison (c’est quoi cette bête), en canoë (jamais vu).

Vous reconnaîtrez que le vocabulaire appris est difficile à utiliser dans la vie courante.

Comment  un seul cours de français peut détruire une motivation et rompre la confiance. Alors en groupe, on a mimé, grimacé, dessiné et surtout beaucoup rit. Il n’a jamais su lire l’histoire de bison agile, peu importe, il n’en avait plus peur.

Des anecdotes amusantes ou moins comme celle-là, je peux en trouver des dizaines.

Dans un premier temps, les élèves (enfants ou adultes) ont besoin d’un enseignement concret, rassurant, adapté à leurs besoins qui ne rentre pas en conflit avec leur propre culture.

• En bonus les cours 1 et 2

Dès les premiers cours, la tâche n’est pas simple.

Leçon 1 : le premier cours de français commence inévitablement par un des verbes les plus compliqués de la langue française : s’appeler, il est pronominal, change d’orthographe selon les personnes, l’horreur ! Pourtant, tout nouvel arrivant sait dire, je m’appelle…. Alors parfois, oublions syntaxe et orthographe. Et passons direct à la leçon 2

Leçon 2 : il est courant dans le cours 2 de donner son adresse. Pas de souci, c’est une information utile que l’on retrouve sur tous les formulaires, cela permet aussi de voir les chiffres. Parfait.

Et puis lors d’une sortie en groupe, vous vous rendez compte que la majorité du groupe, n’a jamais remarqué le petit panneau avec le nom de la rue à chaque angle. Donc, la plupart des nouveaux arrivants n’ont jamais fait le lien entre l’adresse de la préfecture, de votre asso et du numéro au-dessus de la porte. C’est tout bête, mais souvent bien utile.

Oui, il s’agit d’enseigner une langue. Toutefois, il faut rassurer, encourager, s’adapter, accompagner et écouter. L’enseignant apprend beaucoup, lui aussi.

Accompagner sur la durée

Il est important d’apprendre une langue sur une longue période et pas seulement lors de son arrivée. L’idéal est que l’enseignant puisse accompagner sur la durée. La force souvent des groupes de langues FLE, c’est d’être multiculturels et aussi de réunir des élèves de différents niveaux. Un enseignant peut parfaitement gérer un groupe mélangeant des grands débutants et des élèves plus à l’aise avec la langue. En général, cela stimule l’entraide. C’est encourageant pour les débutants et valorisant pour ceux qui maîtrisent la langue orale du quotidien.

À tout moment de notre vie, on peut se retrouver dans la situation de l’apprenant qui débute ou de celui qui se perfectionne.

Vous savez vous présenter, vous repérer dans une ville, vous gagnez en autonomie ce n’est pas le moment d’abandonner l’apprentissage d’une langue. Allez plus loin, apprenez à communiquer, à échanger pour pouvoir affirmer qui vous êtes, ce que vous pensez. Reprenez confiance !

Et puis apprendre le Français Langue Étrangère, s’est surtout s’amuser. Rire des fautes de l’autre et apprendre à rire de ses propres fautes, se dire que nous sommes tous dans la même galère… linguistique.

Cécile de Gabory

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