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Génération connectée : pour quels progrès ?

Il y a quelques semaines, j’ai fait un rêve étrange et pénétrant : j’étais de retour dans les années 80 et, ma foi, la vie m’y paraissait tellement mieux ! Qu’elle était infiniment plus sereine avant le déferlement numérique ! Trois jours plus tard, j’ai partagé ce ressenti un peu trouble avec de vieux camarades et nous avons tenté ensemble de l’expliquer. Après plusieurs heures de discussions, notre conclusion s’est avérée unanime : « Génération connectée : pour quels progrès ? ».

Génération connectée : pour quels progrès ? - Le blog du hérisson

Les réseaux sociaux, le leurre de la fraternité numérique

Comment faisions-nous avant cette invention destinée à créer du lien social entre les gens ? Quitte à se revendiquer passéiste, il était très agréable d’entretenir des relations avec son prochain en le rencontrant, en lui téléphonant ou en lui écrivant. Il n’était pas nécessaire d’être suivi par 1 200 personnes et de déclencher une forêt de pouces levés ou de visages joviaux à chaque avis dispensé pour se sentir écouté et entouré. N’est-ce pas la génération Z ? Nos amis n’apparaissaient pas virtuels, nous connaissions toujours leur visage et leur voix. La vie était cohérente : si tu ne me plaisais pas, je ne t’invitais pas chez moi et l’affaire était entendue. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, n’importe qui peut s’immiscer dans ma vie, m’envoyer des commentaires, publier des contenus offensants, me rendre la vie infernale à l’aide de rumeurs ou de photos sorties de leur contexte. Utiliser les réseaux sociaux ? C’est pouvoir s’exprimer sur n’importe quel sujet et auprès de n’importe qui. Le tweet ? Une inflammation de la pensée, un prétexte à donner son avis, surtout quand on n’en a pas, avec un but inavoué, mais ultime : apparaître au centre d’un cercle, se manifester pour attirer l’attention, le temps d’une publication. Regardez-moi ! Écoutez-moi ! Et derrière l’anonymat des pseudos, très souvent, ce sont des fauves qui sont lâchés ! S’il y a bien un endroit où le terme de bienveillance, si galvaudé depuis plusieurs années, n’a vraiment pas sa place, c’est bien sur ces réseaux sociaux !

Bon, je vois votre air offusqué, les boulimiques amateurs de fraternité numérique : « Mais quel ringard, celui-là ! ». Peut-être. Cependant, avant, la situation s’avérait plus saine : si tout le monde avait un avis sur tout, il n’était pas pour autant porté sur la place publique. Et si mes photos étaient réussies, je ne me sentais pas obligé de les partager avec des gens que je ne connaissais pas afin de récolter des pouces levés ou des cœurs (rouges de préférence). Je ne ressentais pas le besoin d’être gonflé d’orgueil, le temps d’une publication jugée par des anonymes. Plus naturellement, je réservais les photos à mes proches qui, je l’avoue modestement, levaient parfois leur pouce si elles leur plaisaient. Cependant, il ne faisait pas un aller-retour en un millième de seconde sous l’océan Atlantique avant de revenir et de s’incruster sur la page de mon ordinateur ou de mon téléphone portable…

Derrière le face-à-face avec un écran qui génère tant de solitude, la multitude d’amis qui s’agglomèrent sur les différents comptes de ses utilisateurs ne s’avère-t-elle pas le leurre ultime ? Cette démocratisation débridée de la parole apporte-t-elle un mieux-être à ceux qui s’en repaissent ? Si j’en crois l’avis des médecins, permettez-moi de me montrer sceptique, jeunes internautes rivés perpétuellement à vos écrans comme des morts de faim. Sans oublier la pollution que génère cette débauche de nouveaux échanges. Et la prise de conscience, tardive, mais urgente, de réduire notre empreinte numérique.

Jamais sans mon téléphone portable, un couteau suisse devenu vital

Je récapitule : le téléphone est arrivé en France dans les années 50. Au milieu des années 70, un foyer sur quatre seulement en bénéficiait et il fallait attendre plusieurs mois pour se le faire installer. Heureusement, cet outil s’est progressivement installé dans les foyers. Oui, je dis bien dans les foyers puisqu’il était relié à un mur par un fil. Un outil d’intérieur par excellence, donc, qui permettait de garder privée son utilisation. Et, dernière précision, il servait uniquement à parler à quelqu’un. Cet objet formidable nous a permis de nous rapprocher malgré les kilomètres qui nous séparaient. Formidable ! Aujourd’hui, incontinent, il tient dans la poche et permet d’appeler son prochain n’importe où, à n’importe quel moment et même dans n’importe quelle position : dans un ascenseur plein à craquer, à la caisse du supermarché, sur un vélo et, bien sûr et en priorité, dans les transports en commun. Et puis, ce petit objet qu’on appelle encore un téléphone est devenu au fil des années le couteau suisse de tout un chacun, la petite boîte rectangulaire qui répond bravement aux désirs les plus fous de son propriétaire. L’inventivité de ses fabricants s’avère sans limite ! Appareil photo, caméra, montre, réveille-matin, lecteur de musique, enregistreur, GPS, ordinateur connecté, traitement de texte, boîte aux lettres, podomètre, scan de produits, etc. Il a tous les talents, le téléphone portable des adeptes les plus férus des applications installables. Petite  déception, malgré tout, mais je compte sur l’inventivité de ses concepteurs : il ne permet pas encore de cuire sa viande et de garder au frais les petits plats surgelés que nous venons d’acheter…

Alors, c’était vraiment mieux avant ? Faites un test : fermez les yeux et replongez-vous dans un quotidien pas si lointain. Vous entendez la différence ? Pas de gens parlant ou hurlant tout seuls dans la rue, l’oreille collée à leur cher combiné et le regard perdu dans une conversation privée ! Dans le bus ou le métro, pas de scènes de ménage, de synthèse de la soirée de la veille ou de remontrances au petit dernier qui n’a pas fait son lit ce matin, le tout en vous transperçant négligemment d’ondes… Et, si vous ouvrez les yeux, quelle différence ! Pas de personnes hypnotisées par leur Ami pour la vie qui vous bousculent durant leur conversation pédestre. Personne pour vous photographier ou vous filmer à votre insu. Et, durant vos vacances si chèrement acquises, pas d’intrusion au bout d’un bras tendu ou d’une perche télescopique. Pas d’écran pour sournoisement gâcher LA photo du siècle que vous vous apprêtez à prendre !

Cet outil déjà construit à près de 10 milliards d’exemplaires se révèle le plus intrusif du vingt-et-unième siècle. Il emporte tout sur son passage : le respect de l’autre, sa tranquillité, la vie privée de celui qui se trouve dans son périmètre…

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La liberté, un concept à géométrie variable sous haute surveillance

Vous me voyez venir, moi, le nostalgique désormais identifié ! La liberté, ce concept si français, que nous chérissons tant, est franchement mise à mal depuis quelques années, vous ne trouvez pas ? Pour commencer, avec le développement de la technologie, nous sommes tracés, épiés sans pouvoir faire grand-chose pour préserver jalousement notre vie privée. Avec la carte bleue, la généralisation des GPS, les cookies sur les ordinateurs, des téléphones qui bornent, il est devenu impossible de totalement préserver son intimité et ses choix. Une grande partie de nos actes quotidiens est enregistrée, analysée, comparée. Le mois dernier, j’ai parcouru à pied 62 kilomètres, suis allé dans 26 lieux différents (dont 4 nouveaux) et ai traversé 14 villes. La belle affaire ! Qui me parle ? Google, s’il te plait, laisse-moi vivre ma vie ! Nous sommes donc repérés, sauf à nous débarrasser de ces objets qui font désormais partie intégrante de nos vies et à se trouver marginalisés. La question mérite d’ailleurs d’être posée : tuer internet, est-ce possible ? Prenons-en conscience, nous sommes sous haute surveillance : au creux des ordinateurs, notre identité et nos habitudes sommeillent, prêtes à être exhumées à tout moment.

S’il n’était que matériel, cet asservissement s’avérerait certes désagréable, mais il ne toucherait que la partie immergée de nos vies. Le problème se révèle cependant plus profond : nos goûts et nos choix peuvent parfois nous nuire. Dire ce que nous pensons peut vite aujourd’hui poser des problèmes à l’impudent qui ne met pas suffisamment de filtres à ses propos. De nombreux censeurs guettent derrière leur écran ce qui est dit ou écrit (gare aux réseaux sociaux, internaute prolixe). La menace rôde de se trouver insulté ou boycotté pour avoir défendu une cause ou une conviction en dehors d’un cadre préétabli ! Ne pas condamner certains faits et propos peut dans le même temps être dénoncé et reproché. Terrible époque… Ce qui ne convient pas aux censeurs en embuscade est alors pointé du doigt, vilipendé puis pourchassé.

Que dire des personnalités publiques, de plus en plus sommées de s’excuser pour des paroles qu’elles ont tenues hier ? Il en va de même des opinions ou des partis pris politiques qui ne conviennent pas à ceux qui ne les partagent pas. Aujourd’hui, pour beaucoup, la tolérance n’a plus le droit de cité. Et vous, les jeunes générations qui passez votre temps à lire des commentaires sur tout et à juger en direct ceux qui les émettent, qu’en pensez-vous ? Ne serait-ce pas une remise en cause de la notion de liberté que d’émettre un commentaire à la lecture de chaque verbatim ? Et l’avez-vous remarqué ? Même la sphère des loisirs est touchée ! Il suffit d’entendre les humoristes d’hier le reconnaître piteusement : aujourd’hui, face à des menaces et des intimidations, ils ne jouent plus certains de leurs sketchs si appréciés hier. Quelque chose a changé qui s’apparente à moins de tolérance ou plus de sérieux. Il existait il y a quelques années une légèreté qui aujourd’hui s’est évaporée et partager des opinions non fédératrices n’entraînait pas immédiatement une condamnation, voire une excommunication. Il reste certain que la parole avait alors un relent de liberté qui semble être resté bloqué dans le monde d’avant.

Cela fait du bien de se replonger dans cette époque, de manger jusqu’à satiété de nombreuses madeleines de Proust. Depuis, la roue a tourné, la société a beaucoup évolué, les soins se sont améliorés. Cependant, ce que nous avons gagné d’un côté avec le développement des technologies, nous l’avons tellement perdu de l’autre (en insouciance, en sérénité, avec des libertés progressivement rognées). Et si le mieux-vivre qu’elles semblent nous avoir procuré était finalement factice ? La question mérite d’être posée. Génération connectée : pour quels progrès ?

Et vous qui avez vécu ces années ou en avez tellement entendu parler, qu’en pensez-vous ? Que diriez-vous d’un petit retour en arrière, juste pour nourrir votre nostalgie, ou de tester cette époque que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître ?

Hervé Brizay

2 réflexions sur “Génération connectée : pour quels progrès ?

  • Martin Gravil

    Le contenu de cet article me semble très subjectif avec beaucoup de généralisations qui ne sont pas fondées. C’est vraiment dommage de lire cela sur un site qui a pour but d’informer plutôt que de juger comme l’auteur de l’article semble le faire pour ce qu’il appelle les « jeunes générations ». Il critique le fait supposé que la génération d’aujourd’hui juge les autres et manque de bienveillance sur les réseaux sociaux alors que c’est exactement ce qu’il fait dans cet article selon moi… Ce n’était donc pas forcément « mieux avant » comme l’auteur semble le sous-entendre dans cet article et je pense qu’il serait bon qu’il remette en question ses jugements.

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