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L’absinthe rendait-elle vraiment fou ?

Si je vous dis « absinthe », vous pensez sans doute aux artistes et aux poètes parfois maudits de la fin du XIXe, début du XXe siècle ; Baudelaire, Apollinaire, Verlaine, Rimbaud, Toulouse-Lautrec…. Certains, paraît-il, trouvaient l’inspiration dans cet élixir à la réputation sulfureuse. Mais l’absinthe rendait-elle vraiment fou ?

L’absinthe rendait-elle vraiment fou ? - Le blog du hérisson

L’absinthe, un remède miracle

Inventée au XVIIIe siècle, vers 1792 par le Docteur Ordinaire, médecin exilé en Suisse pendant la Révolution Française, l’absinthe est d’abord prescrite comme médicament. C’est un remède miracle réputé soulager tous les maux, donné aux soldats lors de la conquête de l’Algérie notamment pour soigner la malaria, dans les années 1830.

Composé d’une plante appelée Artemisia absinthium, aussi nommée grande absinthe (que l’on trouve communément sur les terrains incultes et arides, sur les pentes rocheuses, au bord des chemins et des champs), le breuvage est additionné d’anis étoilé et de fenouil et comporte un fort degré d’alcool, entre 60 et 75 %. Mais c’est la thuyone, une molécule présente dans l’absinthe, qui à hautes doses, peut provoquer convulsions et hallucinations, et rend la boisson dangereuse.

L’absinthe, une mode de la Belle Epoque

Accusée de rendre fou et violent, ce breuvage à la couleur si particulière, un vert trouble qui lui vaut le surnom de “fée verte”, a effectivement sans aucun doute causé des crises de démence et de graves intoxications, dénoncées dès 1875 par les ligues antialcooliques, l’Eglise, les médecins, la presse…. Et dépeintes par des écrivains, tel Zola dans l’Assommoir.

Car si l’absinthe fut d’abord l’apanage de la bourgeoisie dans les années 1850, parce que son prix était encore élevé, elle se démocratise et devient peu à peu la boisson du peuple. La production augmente et l’absinthe devient même moins chère que le vin à partir des années 1880, au moment où la viticulture voit la consommation de vin baisser et subit la crise du phylloxera. Le prix très accessible de l’absinthe permet d’en boire de grandes quantités et le degré d’alcool avoisine les 70°, avec une qualité plus que douteuse.

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Le rituel de l’absinthe

L’absinthe se prépare suivant un rituel particulier. Le verre est rempli à moitié de la fameuse liqueur. La cuillère ajourée est posée sur le verre avec un morceau de sucre sur lequel on verse de l’eau glacée. C’est à ce moment que l’absinthe, d’un joli vert vif, se trouble, comme on le voit sur certains tableaux impressionnistes. Il suffit ensuite de remuer le mélange avant dégustation. Certains y ajoutent du vin blanc (« l’absinthe de minuit »), de l’eau-de-vie (« le velours épinglé ») ou du cognac (« le tremblement de terre »).

L’absinthe, « poison du peuple », devient illégale

Henri-Louis Pernod, fondateur de la maison « Pernod fils », première distillerie française basée à Pontarlier en 1805, puis Jules-François Pernod (sans lien de parenté avec Henri-Louis Pernod) fondateur en 1860 de la société Jules Pernod puis en 1884 de la Société Pernod Père et Fils à Montfavet, produisent et commercialisent l’absinthe jusqu’à son interdiction en 1915 (mais rebondissent dès 1918 avec le pastis).

En effet, elle est accusée de tous les maux de la société. Mais c’est surtout pour lutter contre le fléau de l’alcoolisme en général, qui sévit en ce tournant de siècle, notamment « l’absinthisme », nom donné à l’alcoolisme à l’absinthe, que la loi interdisant « la vente en gros et au détail ainsi que la circulation de l’absinthe et des liqueurs similaires » est votée le 17 mars 1915.

Il faudra attendre 1988 pour que l’absinthe redevienne une boisson légale, mais avec un taux de thuyone fixé par une directive européenne à 35 mg/l et avec une appellation de type “boisson spiritueuse aux plantes d’absinthe”, surtout pas absinthe !

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Alors, est-ce que l’absinthe rend fou ?

Toulouse-Lautrec buvait son absinthe avec du cognac et il est hospitalisé en raison de plusieurs problèmes mentaux liés notamment à l’alcoolisme, en 1899.

Van Gogh était un consommateur excessif d’absinthe et cette addiction l’a conduit à des crises et à des excès ; sa peinture a sûrement été influencée par ses troubles.

On peut dire qu’elle a inspiré nombre d’artistes de la Belle Epoque qui l’ont peinte ou poétisée.

Pour autant ce n’est pas tant l’absinthe qui rendait fou, mais sa consommation exagérée, son degré élevé d’alcool et la présence de thuyone en quantité excessive. Aujourd’hui, le contexte n’est plus le même. La Fée Verte n’est plus à la mode, et le marché actuel reste assez confidentiel. On est loin des 36 millions de litres annuels produits au moment de son interdiction.

Finalement l’absinthe demeure une sorte de fantasme lié à une époque riche en événements historiques et artistiques, et la Fée verte reste à jamais la fée des poètes et des artistes de la Belle Epoque.

Marie Jovenet

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