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L’amitié c’est un joli mot mais…

Le 30 juillet, c’est la journée internationale de l’amitié. Proclamée en 2011 par l’ONU, cette date rappelle l’importance de l’amitié entre les peuples, les pays et les individus. L’amitié c’est un joli mot mais… c’est quoi ? Durant tout le mois de juillet 2021, nous avons interrogé notre entourage pour tenter de répondre à cette question.

L’amitié c’est un joli mot mais… - Le blog du hérisson
©Fred Moon

L’amitié : c’est quoi, précisément ?

Lorsque nous avons évoqué l’idée d’un article sur l’amitié, des témoins ont répondu présent mais non sans une once d’appréhension. Plusieurs ont eu la même réaction à l’issue des entretiens : « Ce n’est que mon avis », « Je ne sais pas si c’est bien » et même un « Désolée ce que j’ai dit était vraiment nul » ; chacun presque gêné de la qualité de ses confidences et inquiet de ne pas donner la bonne réponse.

Selon les auteurs de l’essai L’amitié, publié aux éditions Puf, si nous avons tant de difficultés à en parler c’est parce-que « nous avons souvent du mal à définir précisément ce qui constitue la spécificité des rapports d’amitié. »

• Indispensable, bienveillant et utopique…

Pour Doriane (34 ans, Aide-soignante) l’amitié est indispensable.

C’est super cliché mais j’avais lu une phrase : Un ami c’est quelqu’un qui te connaît bien mais qui t’aime quand même. C’est tout à fait ça. Un ami te connaît bien, avec tes défauts, tes qualités, mais il t’apprécie juste pour ce que tu es. Pour moi l’amitié c’est vraiment hyper important.

Aux yeux de Christiane (64 ans, Maître de Conférences en Biologie) un ami est « quelqu’un avec qui on se sent mieux une fois qu’on l’a vue qu’avant le rendez-vous. »

Selon Gérard (72 ans, Agent hospitalier à la retraite) : « l’amitié c’est un joli mot mais… ça n’existe pas. »

• Un terrain de jeux permanents

Lors des entretiens plusieurs personnes interrogées ont instantanément associé l’amitié et l’enfance. En évoquant ses amis de jeunesse, le sourire de Gilbert (87 ans, ancien professeur de dessins et de mathématiques), égaie son visage :

J’avais un copain qui s’appelait Michel – sa sœur s’appelait Michelle. Il y avait deux autres garçons aussi et ça ne se passait jamais bien. Ils trichaient quand on jouait aux boules… On jouait avec des boulards, avec des boules que mon père avait fait avec du grès […] et ça se terminait toujours par une petite bagarre. Tout le temps. Mais c’est qu’un jour… J’ai failli en étrangler un ! Le Michel je l’avais foutu par terre, je l’avais choppé à la gorge. Et les autres hurlaient « Non, Non ! » […] C’était des jeux permanents […] quand personne ne nous regardait, hop on escaladait un mur de pierres, on grimpait dans les amandiers […] un jour, on nous a surpris. Résultat [en voulant s’échapper], mon Gérard M. est tombé et s’est cassé le bras. Michèle, la seule fille de la bande, a dit : « Je crois qu’il faut y mettre de l’eau salé ». Alors on est allé chercher une bassine. On a mis de l’eau, on y a mis du sel, on a remué et on y a mis le bras de Gérard M. Puis, avec une plume d’oie – il y avait des animaux tout près ; des mares –, on lui caressait le poignet parce qu’il avait mal. Enfin, finalement, il avait fallu l’emporter à l’hôpital […] Nous avions une liberté totale, on courait la campagne, on courait le patelin sans arrêt, c’est ça qui était fabuleux […] c’était la cambrousse, la découverte. Il y avait toujours un enchaînement qui se faisait…

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©Marcus Wallis

• Compliqué dans les grandes villes

Alors que Gilbert évoque ses amis d’enfance, Louis, son petit-fils (17 ans, élève en terminale), l’écoute avec attention puis se joint à la conversation :

Maintenant ce n’est pas la même chose, on fait moins de choses concrètes […] Pour avoir ce genre de souvenirs il faudrait déjà ne pas vivre dans une grande ville, c’est compliqué dans les grandes villes. […] Moi j’ai un groupe d’amis on se regroupe devant le lycée et on discute autour du lac mais on ne fait que ça, juste discuter… Ce sont quand même des bons souvenirs, mais ce n’est pas pareil.

L’amitié au temps des réseaux sociaux et du smartphone

Dans 60 questions étonnantes sur l’amitié, Lolita Rubens – docteure en psychologie sociale – s’interroge sur la relation complexe qu’entretiennent lamitié et les réseaux sociaux. À la question Peut-on entretenir plus d’amitié en ligne que dans la vie réelle ? l’auteure répond que :

Même si les réseaux sociaux numériques nous donnent aujourd’hui l’impression que l’on peut avoir des centaines […] d’amis, il est cognitivement impossible de maintenir autant de relations stables.

Charlotte Casiraghi, co-auteure de L’archipel des passions – un essai philosophique consacré en partie à l’amitié -, regrette qu’il n’y ait pas de « rapport d’élection » dans les amitiés virtuelles.

En un clic on a une quantité d’amis. Quelque part on ne prend plus le temps de parcourir un chemin vers l’autre et de construire une amitié.

Pour Christiane, qui apprécie peu le téléphone, les confinements liés à la crise sanitaire ont été des périodes difficiles.

Je préfère voir les gens. Je préfère discuter une heure autour d’un café plutôt que de rester une heure pendue à mon smartphone. J’ai l’impression que ça ne m’apporte pas du tout la même chose.

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©Clayton

Il joue à des jeux dont je ne connais pas les règles

« L’amitié commence habituellement par des croyances, des intérêts et des goûts partagés ». Pour Christiane l’amitié va au-delà :

Il faut aussi avoir les mêmes valeurs. Je ne pourrais pas avoir des amis qui ne sont pas du même bord politique que moi, par exemple.

Pour Malone (8 ans, élève de CE1), les intérêts communs semblent aussi essentiels. On lui demande s’il a un ami à l’école : « Oui et non… » répond-t-il un peu agacé. « J’aime pas parler d’amitié ! ». On insiste un peu. « Oui et non, parce qu’il joue à des jeux dont je ne connais pas les règles, et puis on ne regarde pas les mêmes dessins animés. »

Amis et collègues : deux mots qui ne vont pas ensemble

Manon et Gérard s’accordent à dire que le monde du travail n’est pas le lieu propice aux amitiés sincères car la rivalité y est trop présente. Manon (77 ans, ancienne Institutrice) se souvient :

Au travail je n’ai toujours eu que des collègues, jamais de copines. Une d’entre elles – qui se disait mon amie – s’est attribuée la paternité d’un travail que nous avions réalisé toutes les deux devant l’inspecteur… Je n’ai rien dit. C’est pour ça, des amis au travail, il n’y en a pas. Parce qu’il y a toujours quelque part une crainte que l’on réussisse mieux.

Les souvenirs professionnels de Gérard lui ont laissé le même sentiment :

À un moment l’amitié [en entreprise] elle est là avec un collègue et puis hop il y en a un des deux qui prend un grade […] On donne une avancée à l’un et pas à l’autre, on divise pour mieux régner […] et l’amitié éclate.

Le sentiment d’amitié à l’épreuve du temps…

Avec le temps, les sentiments évoluent et les amitiés sont parfois victimes de ces évolutions naturelles. Dans l’Amitié les auteurs rappellent que le philosophe Christian Wolff expliquait la disparition de l’amitié « par un changement dans la perception de l’ami, qui le montre sous un aspect qui ne provoque plus le plaisir. » Pour éviter la rupture, Wolff préconisait « simplement de s’abstenir soigneusement de tout ce qui pourrait déplaire à l’ami… » !

• Les amitiés déçues : pires que les déceptions amoureuses

On demande à Doriane si elle a déjà été déçue par un(e) ami(e) ?

Oui, et je crois que les déceptions liées à l’amitié sont pires que les déceptions amoureuses. Il y a un enjeu qui est autre. Quand tu es amoureux, tu sais que ça peut ne pas durer car il y a des risques, des tentations, il y a les sentiments qui disparaissent. Alors qu’en amitié tu te dis que c’est pour toujours, qu’il n’y a pas de raison que ça change. C’est plus violent.

Même constat pour Gérard :

L’amitié c’est éphémère, c’est croire que celui à qui tu as donné ton amitié ce sera là pour toujours […] J’ai eu des copains de bringue, des copains de sport, des copains de l’armée, mais… on s’est tous perdus de vue. Parce qu’un jour ou l’autre, un a changé de région, un autre a changé de copine ; une qui ne t’aimait pas à toi et qui lui dit Laisse le tomber, et voilà. Les femmes sont pour beaucoup dans les ruptures amicales entre hommes. J’ai beaucoup d’exemples.

• Des cycles de vie

On demande à Gilbert s’il a gardé des liens avec Michel et Michelle, Gérard M. et ses autres camarades de jeux avec lesquels il a grandi et joué aux soldats au début de la seconde guerre : « Oh très peu… » dit-il sans regret dans la voix. Après les amis d’enfance, il y a eu ceux des études, puis d’autres encore. Des cycles de vie.

Des cycles de vie - Le blog du hérisson
©Dimhou

Alors… Avoir des amis rend-il heureux ?

La réponse est oui ! D’après l’étude américaine Very happy people réalisée en 2002 sur 222 étudiants, Lolita Rubens constate que :

Les gens les plus heureux semblent avoir des relations sociales riches et satisfaisantes ; ils passent – comparativement aux autres – peu de temps seuls. De bonnes relations sociales – et donc des liens forts avec ses amis – semblent constituer une condition nécessaire au bonheur.

• Des amis, des copains et des potes…

« Y’a-t-il une différence entre un ami et un copain ? » Malone marque un silence – la réponse lui paraît évidente : « Ben, c’est pas le même mot déjà… » sous-entendu : si ce n’est pas le même mot, c’est qu’il y a une raison. Ce n’est tout simplement pas la même chose !

Gérard partage cet avis. Lorsqu’on lui demande d’évoquer un bon souvenir vécu avec un ami, la réponse fuse :

J’ai mis la barre tellement haut dans l’amitié que ça ne s’est jamais concrétisé pour moi […] Mais des très bons moments de folie entre potes oui ! Je ne peux même pas les raconter… Je ne peux pas, non. Je ne peux pas, c’est trop. À titre posthume, peut-être, un jour… C’étaient des trucs terribles. Là oui on déconnait… conclut-il en souriant.

Audrey Denjean

Propos recueillis par Audrey Denjean en juillet 2021

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