Science

Néandertal : un homme parmi les hommes

Pour Néandertal, tout commence en 1856, dans la vallée de Neander (Allemagne), avec la découverte d’un crâne et quelques ossements. On va tout entendre à son sujet avant de voir apparaître l’identité d’Homo neanderthalensis. Grâce aux progrès de la science, idées reçues, représentations racistes et clichés vont céder. Aujourd’hui, nous sommes en mesure d’affirmer que Néandertal est un homme parmi les hommes, une espèce d’hominidés au même titre qu’Homo sapiens. Au cœur des mystères de l’évolution, le droit à la différence semble triompher et rendre justice à Néandertal. Mais si vous doutez encore de son humanité, découvrez cette véritable enquête médico-légale qui vous reliera à la préhistoire.

Néandertal : un homme parmi les hommes - Le blog du hérisson
©IR Stone

De la brute écervelée à l’Homme : qui est Néandertal ?

• Un primitif réhabilité

Après la découverte mystérieuse de ce squelette partiel, les hypothèses les plus loufoques vont se succéder : crâne d’ours, de singe ou même d’homme malade. Un peu plus tard, les premières analyses concluent qu’il s’agit d’un crâne humain d’origine inconnue, constitué d’un étonnant bourrelet osseux au-dessus des orbites. Malgré d’autres études et l’identification d’une nouvelle espèce du genre Homo, les scientifiques le rangent plus près du singe que de l’Homme. De primitif physique, il sera vite qualifié de primaire intellectuel. Il a même failli se nommer Homo stupidus ! Finalement, ce sera Homo neanderthalensis. Il était impensable d’associer cet individu simiesque à la haute estime que les Occidentaux avaient d’eux-mêmes. Il faudra attendre les années soixante pour voir cette posture scientifique s’étioler.

Aujourd’hui, Néandertal n’est plus ce lointain cousin rustre, cette brute écervelée. Les progrès de la science (imagerie 3D, paléogénétique et paléoplastie) permettent de mettre en exergue les points communs et les différences avec Homo sapiens.

• Un modèle d’adaptation climatique

Néandertal a vécu entre 350 000 et 24 000 ans avant aujourd’hui, dans des paysages steppiques peuplés de mammouths (de l’Atlantique jusqu’à l’Asie centrale). Nous sommes en pleine ère glaciaire. Son anatomie s’est probablement adaptée au climat. Pour affronter les grands froids, à l’instar des Inuits, des prérequis morphologiques constants semblent nécessaires (souvent petits et robustes avec des membres courts). Quelques détails supplémentaires complètent sa fiche signalétique :

  • corps trapu (hommes : 1,65 m pour 90 kg, femmes : 1,55 m pour 75 kg) ;
  • membres musclés et puissants ;
  • ossature solide ;
  • cage thoracique en forme de tonneau ;
  • bassin plus large que celui d’Homo sapiens ;
  • tête en forme de ballon de rugby et présence du « chignon néandertalien » (saillie osseuse au niveau de l’occiput) ;
  • fort prognathisme ;
  • yeux clairs et orbites circulaires ;
  • nez large et saillant ;
  • menton fuyant ;
  • bourrelet des sourcils très marqué (comme d’autres hominidés plus anciens) ;
  • teint pâle et cheveux roux.

Regardez autour de vous avec ces filtres anatomiques : devinez-vous quelques traits néandertaliens  ?

• Néandertal, un cuisinier omnivore

Le climat détermine aussi des modes alimentaires. Le froid intense et l’instinct de survie poussent Néandertal à une forte consommation de protéines animales. Mais il n’est pas carnivore au sens strict : son régime est varié et presque omnivore. Comme tous les prédateurs, il est opportuniste et mange donc ce qu’il trouve, en fonction des saisons et de son environnement.

Le laboratoire de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) a publié les résultats des analyses de matières fécales, vieilles de 50 000 ans, découvertes en Espagne sur le site archéologique de El Salt (près d’Alicante). Les individus avaient consommé et digéré de la viande animale (présence de coprostanol), mais aussi des plantes, des tubercules, des noix et des fruits (présence de phytostérol). Des études précédentes avaient démontré qu’il se nourrissait également de coquillages et de légumes. De plus, sa maîtrise du feu lui permet de faire cuire ses aliments. Chasseur-cueilleur, Néandertal est un bon cuisinier. L’image de la brute dévoreuse de chair est désuète.

• Un phytothérapeute avant-gardiste

Récemment, des scientifiques internationaux ont analysé l’ADN du tartre dentaire de Néandertaliens espagnols et belges. Les résultats sont stupéfiants : des traces de plantes aquatiques et de céréales sauvages ont été mises en évidence et attestent de la diversification de son alimentation. Il mastique même des écorces d’arbre qui se transforment en une pâte de type chewing-gum préhistorique. Mais pas seulement ! Des substances chimiques, bien connues en phytothérapie, révèlent que Néandertal consomme des plantes médicinales aux propriétés encore utilisées aujourd’hui :

  • la camomille (anti-inflammatoire et calmant) ;
  • l’achillée millefeuille (antiseptique et cicatrisant) ;
  • le peuplier (antidouleur) ;
  • la moisissure issue de champignons et de mousses (antibiotique).

40 000 ans avant nous, Néandertal pratique donc une forme d’automédication reposant principalement sur la pénicilline et l’aspirine !

Pour préciser la place de cette thérapeutique naturelle dans la culture néandertalienne, les chercheurs souhaitent prolonger les analyses sur d’autres lieux et aborder la question de la transmission de ces connaissances médicales. Les chimpanzés et les gorilles, cousins de Néandertal et d’Homo sapiens, exercent aussi ce type de médecine parallèle. Sommes-nous si différents ?

Du réel au symbolique

• Un chasseur-artisan

Néandertal se livre à des chasses dangereuses orientées sur tout type de proie, y compris les grands herbivores. Des stratégies basées sur une bonne connaissance de la réalité environnementale s’avèrent indispensables. La fabrication d’outils et d’armes sophistiqués s’impose. Le bois, le silex taillé et les os constituent le socle de cette véritable industrie au service de la chasse et du tannage des peaux :

  • racloirs ;
  • lissoirs (identiques à ceux utilisés aujourd’hui pour assouplir le cuir) ;
  • pointes ;
  • grattoirs ;
  • coups-de-poing ;
  • colles à base de résine d’arbre pour fixer silex et bois ;
  • lances dont l’extrémité est durcie au feu.

Un tel niveau de conceptualisation et d’artisanat conjugués à la maîtrise du feu permettent à Néandertal de rompre définitivement avec la brute primaire décrite par le passé.

• Un artisan-artiste

Néandertal utilise des parures en coquillage, en os ou en plume. Ces bijoux sont probablement un signe d’appartenance à un clan : une identification sociale. Il emploie des ocres, au creux de récipients en coquillage, pour des réalisations artistiques (maquillages, peintures corporelles ou peintures pariétales dans les grottes).

Tout comme nous, il enterre ses morts avec des significations symboliques et des rituels variés encore inexpliqués : position fœtale, couche de graviers et de cendres recouvrant le corps, dalle de pierre. Néandertal avait-il des croyances ? S’il est impossible de l’affirmer aujourd’hui, créativité et symbolisme sont assurément au rendez-vous.

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Collier néandertalien porté il y a 130 000 ans (pygargue à queue blanche) ©S. Aquindo

• Néandertal, un bâtisseur souterrain

Que penser des constructions souterraines découvertes dans la grotte de Bruniquel (sud-ouest de la France) ? Ces édifices nous ramènent 178 000 ans en arrière et Néandertal est la seule espèce présente à cette période. Des stalagmites de taille égale ont été disposées en cercle, dans une salle, à plus de 300 mètres de l’entrée de la caverne. S’agit-il d’une habitation, d’un lieu de culte ou d’un système de retenue d’eau ? Les recherches se poursuivent.

• Un homme de parole

Néandertal possède le gène de la parole (FOXP2), le même que nous ! Les généticiens ont mis en évidence son existence, à partir d’échantillons d’ADN provenant du site de El Sidron en Espagne. Sans lui, point de langage. De plus, la présence d’un os hyoïde (placé au-dessus du larynx, sous la base de la langue) lui permet la vocalisation. Son cerveau et son oreille interne sont également équipés pour distinguer les phonèmes. Cependant, les preuves formelles de cette capacité physique, intellectuelle et sociale sont insuffisantes. Ce sujet n’a pas fini de faire parler.

De l’extinction de Néandertal au retour parmi nous

Arrivés il y a 200 000 ans en Europe, les Néandertaliens auraient disparu depuis 40 000 ans. Scientifiques et chercheurs sont très prudents et les désaccords sont nombreux.

Ce que l’on sait :

  • Homo sapiens (également appelé homme de Cro-Magnon pour cette période) et Néandertal ont cohabité pendant 10 000 ans au maximum (le site de la grotte aux fées témoigne d’un habitat partagé entre ces deux espèces).
  • La supériorité intellectuelle et technologique de Sapiens ou un génocide néandertalien sont écartés.
  • Les variations climatiques ou l’inadaptation alimentaire de Néandertal ne sont plus des pistes retenues.

Les hypothèses actuelles ne sont pas consensuelles, mais la prédominance de facteurs multiples, externes et internes, expliquerait son extinction :

  • À la faveur d’une météo plus clémente, les Néandertaliens, déjà peu nombreux, se sont dispersés sur le territoire (isolement, affaiblissement démographique, disparités culturelles et technologiques).
  • La concurrence territoriale avec Homo sapiens reste un argument mis en avant par certains scientifiques.
  • Néandertal aurait pu reculer devant les avancées de Cro-Magnon et ainsi s’isoler (certains lui attribuent une culture plus pacifiste).
  • L’infertilité des jeunes femmes est également une hypothèse.
  • Les hybridations successives entre les deux espèces seraient la cause d’une dilution génétique progressive (Néandertal serait victime de la pression démographique d’Homo sapiens).

Entre affrontements, échanges et métissages, le mystère de la disparition d’Homo neanderthalensis subsiste.
Disparu ? Pas tout à fait. Depuis 2010, nous savons que 1 % à 4 % de notre génome provient de Néandertal. Une étude comparative des séquences d’ADN confirme ce pourcentage pour l’Europe, la Chine et la Papouasie Nouvelle-Guinée. Aucune trace néandertalienne en Afrique du Sud et en Afrique de l’Ouest.

Rebondissement préhistorique en 2020 : l’université de Princeton (États-Unis) découvre que 0,3 % du génome africain moderne émane de Néandertal qui n’a jamais vécu en Afrique ! Lors de migrations successives, Homo sapiens, version africaine, s’accouple avec Néandertal qui lui transmet une partie de son patrimoine génétique. Certains Homo sapiens, à présent métissés, reviendront en Afrique et dissémineront ainsi leurs gènes néandertaliens sur tout le continent. Mystère résolu.
Une culture sophistiquée et une espèce ont disparu, mais leur héritage génétique survit en nous tous.

Néandertal n’a donc rien à envier à Homo sapiens : ses capacités intellectuelles et manuelles sont équivalentes. Il s’agit simplement de différences culturelles sans hiérarchie qualitative. Même si Homo neanderthalensis soulève de fréquents désaccords scientifiques, l’histoire et le progrès lui ont rendu ses lettres de noblesse. Les recherches se poursuivent et la communication s’intensifie : études, livres, conférences et expositions se multiplient. Néandertal, homme à la mode, semble même idéalisé et perçu comme le contre-modèle d’Homo sapiens, destructeur de la vie sur terre.

Sa  préhistoire ne fait que commencer et de nombreux rebondissements vous attendent.

François Saussac

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©Neanderthal Museum

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