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Nina Simone : sur les traces de la légende

Le 21 avril 2003, Nina Simone s’éteint dans le sud de la France. Elle a 70 ans. C’est le terme d’un parcours où elle aura été tout à la fois une immense artiste de jazz, une activiste des droits civiques mais aussi une femme blessée et en colère. Flamboyante et entière, elle s’est engagée contre l’Amérique ségrégationniste, dans un combat sans fin pour l’égalité et la justice. Plus de vingt ans après sa disparition, son héritage artistique et social continue de vibrer dans les mémoires. Mais comment devient-on l’une des plus grandes voix du XXe siècle ? Pour le savoir, partez sans attendre sur les traces de la légende Nina Simone !

Nina Simone : sur les traces de la légende - Le blog du hérisson
Interview à Amsterdam en décembre 1965 ©Wikimedia

De Eunice Waymon à Nina Simone : l’éclosion d’une enfant prodige

► Bach pour seul maître

Issue d’un milieu de pasteurs méthodistes, Eunice Kathleen Waymon naît le 21 février 1933 à Tryon, une petite ville de Caroline du Nord, dans un sud marqué par les violences raciales. Dès son plus jeune âge, elle accompagne sa mère tous les jours à l’église. Très tôt (entre 4 et 6 ans), elle s’initie au piano et découvre dans la musique sa vocation. Elle deviendra la première pianiste concertiste noire ! En accompagnant à l’orgue la chorale de son église, elle développe son jeu, au rythme des gospels et autres chants sacrés de sa communauté. Elle révèle ainsi un talent précoce et une maturité qui vont attirer l’attention de généreux bienfaiteurs. Parmi eux, Mrs Miller, qui paie ses premiers cours de piano, et Muriel Massinovitch, dite Miss Mazzy, sa professeure qui lui fait répéter ses gammes, encore et encore, jusqu’à la perfection.

Grâce à elle, elle découvre le compositeur allemand Jean-Sébastien Bach, dont l’œuvre lui apporte structure et rigueur. Elle lui restera fidèle toute sa vie. Convaincue par son potentiel, Miss Mazzie la pousse à préparer le concours d’entrée du prestigieux « Curtis Institute of Music » de Philadelphie. À l’été 1950, elle se présente après des semaines de travail acharné en résidence à New York. Mais son rêve de devenir pianiste classique subit un premier revers sérieux. Elle est recalée face au jury du « Curtis Institute », un échec qu’elle attribuera plus tard à des considérations raciales.

► Et soudain, Nina Simone

Pour l’heure, Eunice décide de poursuivre son rêve d’une carrière classique. Mais son père, diminué par une intervention chirurgicale, ne peut plus subvenir aux besoins de la famille. Pour aider sa mère et suivre des leçons de piano avec Vladimir Sokoloff, un célèbre professeur du Curtis Institute, elle chante dans les bars. C’est dans l’un d’entre eux, le « Midtown Bar and Grill » à Atlantic City, que le public découvre une artiste complète. En effet, lorsque le patron lui demande d’ajouter le chant à ses prestations au piano, Eunice refuse. Elle est une pianiste classique et non une chanteuse de jazz. Mais il faut bien « faire bouillir la marmite » et payer les leçons. Alors, elle se met aussi à chanter et impose aussitôt une voix inimitable, capable de personnaliser les plus grands standards. Grâce à sa rencontre avec l’agent Jerry Fields, elle commence à tourner dans les grands clubs de blues et de jazz de New York. Et le succès arrive sans tarder. Pour des besoins promotionnels, mais aussi pour ne pas blesser les sentiments religieux de sa mère, Eunice a besoin d’un nom d’artiste. Nina Simone naît ainsi en 1954 sous la forme d’un double hommage. Le premier est rendu à l’ami qui l’appelait affectueusement  «niña» (« petite fille » en espagnol), et le second à Simone Signoret, que la jeune Eunice a admirée dans « Casque d’Or »(1952).

En 1957-1958, elle entre en contact avec le label Bethlehem qui lui fait signer, en 1958, un premier disque au succès immédiat, « Little Girl Blue ». On y trouve notamment la reprise qui l’a lancée « I love you, Porgy » de Gershwin et le désormais classique « My Baby Just Cares For Me ». Tout au long d’une carrière prolifique, entre disques originaux et enregistrements en public, elle sortira pas moins d’une cinquantaine d’albums.

Nina Simone ou la musique pour arme de combat

► Art et militantisme

Au cours des années 1950-1960, la société américaine bouge, au rythme des violences racistes et de la défense des droits civiques. La jeune Nina évolue au sein d’une bande d’amis artistes issus de la contre-culture. Elle y fréquente notamment le poète Langston Hughes, les écrivains James Baldwin et Lorraine Hansberry. Avec eux, elle refait le monde et interroge les valeurs d’une Amérique capitaliste, hostile aux noirs mais aussi aux femmes. Malgré son désir profond d’une carrière classique, Nina Simone poursuit son évolution dans le répertoire du jazz, du folk et du blues. Elle comprend qu’elle a une audience et que sa musique peut porter ses valeurs. À partir des années 1960, son engagement politique devient plus marqué, en réaction à deux événements-clés. Ainsi, en 1963, un militant afro-américain est assassiné par un opposant à l’intégration ethnique. Et quelques mois plus tard, 4 enfants noirs meurent dans l’attentat orchestré par le Klu Klux Klan dans une église d’Alabama. Cette fois, c’en est trop. Sa musique se nourrira désormais au feu de sa colère.

► Au service du peuple noir

En réponse aux attaques contre la communauté noire-américaine, elle compose « Mississippi Goddam », un texte engagé qui signe sa révolte. Plus que jamais, elle soutient de son art le mouvement des droits civiques aux États-Unis, notamment à travers ses titres « Young, Gifted And Black » et « Four Women ». Parmi ses fréquentations, on trouve les principaux militants afro-américains, y compris les plus violents tels que Malcolm X ou le mouvement des Black Panthers. Lors d’un concert donné en août 1969, Nina en appelle carrément à supprimer les Blancs en réponse aux violences faites au peuple noir. Une position extrême qui en dit long sur sa rage et son désir profond d’éradiquer les injustices raciales dans son pays.

La fin d’une carrière, la naissance d’une légende

► Quitter les United «Snakes» (« Serpents ») of America

Le combat devient d’autant plus rude que le mouvement pour les droits civiques commence à être durement réprimé. En 1965, Malcolm X est assassiné. En 1968, c’est au tour de Martin Luther King, l’apôtre de la lutte pacifiste pour l’égalité des races. Nina Simone choisit de partir loin d’un pays où ses droits humains les plus fondamentaux sont menacés. Elle entame une longue vie d’errance aux quatre coins du globe, sans parvenir à réconcilier les différentes facettes de sa personnalité. D’abord en fuite à la Barbade, elle se rend ensuite au Libéria, en Suisse et aux Pays-Bas. Elle y cherche une vérité et un apaisement qui lui feront toujours défaut.

► Dernière étape : la France

Au terme d’un parcours tourmenté, Nina Simone trouve refuge en France. Déjà, en 1967, elle avait fait une rencontre fructueuse en langue française avec la chanson de Jacques Brel « Ne me quitte pas ». Elle en livre en effet une interprétation toute en émotion qui rivalise avec l’original. À partir de 1992, elle s’installe définitivement en France, jusqu’à sa disparition à Carry-Le-Rouet en 2003. Le rideau tombe… Mais il paraît que les légendes sont immortelles.

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Concert à Morlaix, Bretagne, mai 1982 ©Roland Godefroy

Réflexions et faits méconnus sur Nina Simone

💡 Alors qu’elle est souvent classée parmi les grandes chanteuses de jazz, notamment aux côtés de Billie Holiday et Ella Fitzgerald, Nina Simone se considérait avant tout comme une artiste classique. Quant à l’influence de Bach, même discrète, elle est présente dans toute son œuvre. Même si le public n’y entend rien, elle invite parfois le compositeur allemand au cœur de ses interprétations. Écoutez plutôt « Love Me Or Leave Me » », où elle improvise, en plein milieu du morceau, à la manière du maître baroque.

💡 Sans chercher à réduire le mystère de l’artiste, c’est peut-être en partie dans sa double naissance, en 1933 et en 1954, que se niche sa fragilité. En tout cas, ce conflit entre ses deux personnalités, publique et privée, pèse sans aucun doute sur son parcours chaotique.

💡 Certains de ses plus grands succès témoignent de sa tristesse et de ses rêves brisés, notamment en raison de sa couleur de peau. Ainsi en témoignent les titres évocateurs  « I wish I knew how it would feel to be free », « Don’t let me be misunderstood » ou encore cet extrait de la chanson « Alone Again » : « And for all my life there were promises, and they always have been broken. » (« Et toute ma vie il y aura eu des promesses qui, toutes, ont été brisées »). Une source de colère et de frustration qui a assombri sa vie autant qu’elle a nourri son œuvre.

Nina Simone n’est donc pas devenue la « première pianiste classique noire » mais elle a marqué l’histoire de la musique d’une empreinte indélébile. Une partie de son génie est sans doute à rechercher dans son caractère inclassable à la frontière de différents genres musicaux :  folk, jazz, gospel, blues, variété et musique classique. Des générations d’artistes ont ainsi été influencées par son style unique et par son engagement social. De Mary J. Blige et Alicia Keys à Beyoncé en passant par David Bowie ou Jeff Buckley, tous ont publiquement reconnu son héritage. Pour poursuivre votre exploration sur les traces de la légende Nina Simone, consultez l’un des nombreux hommages qui lui sont rendus à l’occasion du vingtième anniversaire de sa disparition.

⏩ Envie de découvrir une autre artiste incontournable du XXe siècle, qui fut également une militante des droits civiques aux États-Unis ? Découvrez la vie et l’œuvre de Joséphine Baker !

Céline Calendini

→ Nina Simone « Love Me Or Leave Me » on The Ed Sullivan Show

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