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Sylvain Tesson sur les chemins noirs

Sur les chemins noirs, dernier long-métrage de Denis Imbert tiré du roman éponyme de Sylvain Tesson, relate la marche de ce dernier vers la résilience après le terrible accident dont il a été victime. À travers cette adaptation cinématographique, l’écrivain se réjouit de montrer à un public plus large une richesse extraordinaire pouvant fédérer, regrouper et vitaliser les individus.

Sylvain Tesson sur les chemins noirs - Le blog du hérisson
©Thomas Goisque

Le voyage selon Sylvain Tesson

Si vous n’aimez pas le monde, prenez-vous en d’abord à vous-même. (Rainer Maria Rilke)

• Le voyage tel un mouvement

Rompu aux longues marches en solitaire, Sylvain Tesson, qui suivit les pas des évadés du goulag dans L’Axe du loup, considère avant tout le voyage comme un mouvement. Au fil de la pérégrination, l’espace s’abolit, le temps se dilate. Il n’y a ni avenir ni passé, ni projets ni souvenirs, ni ambitions ni regrets. La seule ambition est de rester en vie et d’avancer jusqu’au refuge du soir (si l’on ne dort pas à la belle étoile). Le marcheur se tient à la fine pointe de l’instant, le corps et l’esprit sont entièrement consacrés au mouvement.

• Le voyage tel un oubli de soi

Sylvain Tesson inclut dans sa définition du voyage la notion fondamentale de l’oubli de soi. Selon le baroudeur, promener ailleurs ce que nous sommes est une erreur, emporter la satisfaction que nous avons de notre propre conscience est un échec. Il s’agit au contraire de sortir de soi, de se livrer corps et âme à la réception de ce que nous offrent le monde et les paysages que nous traversons. Partir, c’est S’abandonner à vivre, Une vie à coucher dehors.

• Connecté avec la nature ?

Rebelle réactionnaire, Sylvain Tesson ne goûte guère ce qu’il nomme « une espèce de langage cyber-mercantile de manager planétaire ». Il ne conçoit pas l’humain comme un technicien du vivant connecté avec la nature. En outre, l’écologiste voit une contradiction dans le fait de vouloir se porter au secours d’une planète blessée et l’usage d’une terminologie qui appartient précisément au monde responsable de la blessure qui lui est infligée. Il préfère user de simplicité en évoquant l’amour de la nature, la célébration des bêtes, le salut aux plantes.

• Sauver la planète ?

Sylvain Tesson n’est pas plus connecté au vivant qu’il ne prétend sauver la planète. Refusant toute forme d’arrogance, il considère que cette tâche n’échoit pas à l’humain, qui en est bien incapable, et que la planète n’a pas besoin d’être sauvée mais aimée. Agir pour la condition humaine et donc pour la nature passe par une transformation de soi. Avec humilité, la métamorphose du voyageur s’effectue ainsi par étapes. Par ailleurs, loin de toute pensée globale, virtuelle et abstraite, une vie humaine, sensuelle et sensorielle, se déploie dans le champ de la perception organique. L’intellectuel résume : « Éteignez tout et le monde s’allume ».

Sur les chemins noirs

C’étaient mes chemins noirs. Ils ouvraient sur l’échappée, ils étaient oubliés, le silence y régnait, on n’y croisait personne et parfois la broussaille se refermait aussitôt après le passage. Certains hommes espéraient entrer dans l’histoire. Nous étions quelques uns à préférer disparaître dans la géographie. (Sylvain Tesson)

• Résilience d’un promeneur solitaire

En août 2014, après une énième soirée trop arrosée, à Chamonix, chez son ami Jean-Christophe Rufin, Sylvain Tesson chute d’un toit. Grièvement blessé, atteint de vingt-six fractures, il est donné pour mort. Alors que les médecins le condamnaient à l’invalidité, l’homme du mouvement s’est relevé après un séjour de cinq mois à l’hôpital. Il décide alors de reconquérir sa vitalité par la marche en sachant les bienfaits procurés sur les plans physiologique, anatomique, spirituel, intellectuel. La résilience du promeneur solitaire passe alors par la pratique du territoire.

• Le baume de l’hyper-ruralité

Sur son lit d’hôpital, Sylvain Tesson consulte un rapport sur l’hyper-ruralité daté de 2015 à partir duquel il détermine l’itinéraire qui le mènera du Mercantour au Cotentin. La France périphérique des zones enclavées, des bassins d’emploi inactifs, du bas débit n’est alors plus un problème mais un baume. Le vagabond panse ses plaies, reconquiert ses forces à travers les territoires oubliés, les chemins creux, cachés, silencieux. Ces chemins noirs, ceux de la rétraction, de la méditation, apparaissent existentiels, symboliques, philosophiques.

• Redécouverte du terroir

En traversant des univers évoluant au fil de ses pas, Sylvain Tesson redécouvre le terroir et sa signification. Le lettré convoque Charles Péguy contemplant la plaine de Beauce : « Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre un réservoir sans fin pour les âges nouveaux. » Cette assertion décrit la conversation entre l’humain et le climat, le sol, en vue d’en tirer un produit grâce à un ordre agricole, villageois, social, parfois familial. Grâce aux techniques et aux compétences de bonification de la terre, ce produit sera transmis aux générations futures.

• Éloge de la région

Sylvain Tesson constate enfin, élogieux, que chaque arpent de notre pays a été adoubé, béni, décrit, formulé, confirmé par un écrivain. Les grands auteurs donnent à la région une double vie, organique et littéraire. Citons Giono en Provence, Maupassant en Normandie, Chateaubriand en Bretagne. La région incarne ainsi un réservoir de données géographiques, linguistiques, culturelles dont une nation a besoin pour créer son propre récit. Paul Vidal de La Blache écrit :

L’homme croit qu’il est le régent de l’histoire alors qu’il est d’abord le disciple du sol.

Georges Latchimy

→ SUR LES CHEMINS NOIRS Bande Annonce (2023) Jean Dujardin

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