Environnement

Le sarrasin, du champ à la galette

Un fin tapis blanc surmontant une forêt de tiges rouges, vous avez déjà aperçu ce spectacle gracieux un été, dans la campagne bretonne ? C’est un champ de sarrasin, une plante trop peu connue à laquelle la Bretagne, mais pas seulement, doit beaucoup. Le sarrasin, du champ à la galette, découvrez cette drôle de céréale qui a plus d’un tour dans son sac.

Le sarrasin, du champ à la galette - Le blog du hérisson
Champ de sarrasin dans les Côtes d’Armor ©Véronique Hamon

Le sarrasin, spécialité bretonne ?

Fake-news ! Si la galette de blé noir représente un symbole fort de la Bretagne, ne croyez pas que le sarrasin est une plante endémique de cette région. Il trouve ses origines en Chine puis il est cultivé en Europe de l’est dès le XIVème siècle. Se déplaçant d’est en ouest, il s’installe en Bretagne vers les XVème et XVIème siècles. Il ne cesse de s’y développer jusqu’au XIXème siècle où il va couvrir jusqu’à près de la moitié des terres de labour dans le centre et l’est de la Bretagne. Notez que d’autres régions françaises ont une tradition de culture du sarrasin comme l’Auvergne, le Limousin et les Pyrénées.

La fin du XIXème siècle marque son déclin car il est peu à peu remplacé par d’autres céréales comme le blé et l’orge dont la culture est rendue plus facile et plus rentable grâce à l’usage d’engrais et d’herbicides. Mais c’est surtout la pomme de terre, en pleine expansion, qui lui vole la vedette dans l’assiette des paysans bretons à partir de cette époque.

Après avoir couvert plus de 300 000 hectares de terres en Bretagne au XIXème siècle, le sarrasin a donc failli disparaître complètement avant de revenir en grâce durant les dernières décennies. Aujourd’hui, avec 3 000 hectares ensemencés, la Bretagne ne couvre pas encore ses besoins et importe du blé noir de Chine ou des pays d’Europe de l’Est. Un paradoxe qui va peut-être bientôt prendre fin avec l’augmentation de la production locale (notamment dans les Côtes d’Armor et l’Ile-et-Vilaine) et les bénéfices d’une IGP (Indication Géographique Protégée) pour la Farine de Blé Noir de Bretagne depuis 2010.

Le sarrasin, du champ à la galette - Le blog du hérisson
Plants de sarrasin ©Véronique Hamon

Le sarrasin, un grand modeste plein de qualités

En ces temps d’inquiétude pour l’avenir de la biodiversité et la capacité de l’homme à se nourrir sainement, on redécouvre donc toutes les vertus du sarrasin, une plante longtemps injustement méprisée.

D’abord, à quoi ressemble le sarrasin ? C’est une “pseudo” céréale annuelle, de la famille des polygonacées, ce qui l’apparente à la rhubarbe et l’oseille, et pas du tout au blé ou autres céréales graminées comme on pourrait le croire. Au bout de sa tige, d’un rouge étonnant, d’environ 70 cm de hauteur, ornée de feuilles vert foncé, éclosent de petits bouquets de fleurs blanches. C’est déjà un régal pour les yeux qui parcourent la campagne en été. Sous ces fleurs apparaissent des graines de couleur gris brun en forme de trigones. Ce sont ces graines qui donneront le blé noir.

Le sarrasin, du champ à la galette - Le blog du hérisson
Tige de sarrasin avec ses graines ©Véronique Hamon

Le sarrasin est un concentré de qualités :

  •   Il est robuste.

Il pousse facilement sur des sols pauvres (qu’il va enrichir au passage) sans nécessiter d’entretien particulier (ni engrais ni pesticide car il ne redoute aucun parasite en particulier).

  • Il est rapide.

Semé à la fin du printemps, il arrive à maturité en 8 à 10 semaines seulement. Il est alors fauché et ses graines séchées.

  • Il est très mellifère.

Les abeilles en raffolent et en font un miel rouge très parfumé.

  • Il est multi-usage.

Comme pour le cochon, dans le sarrasin tout est bon. Non seulement on mange ses graines ou bien on cuisine à partir de leur farine, mais on en fait aussi de l’engrais vert (broyé et mélangé à la terre) entre deux cultures.

  • Il est nutritif.

Contrairement à leur (fausse) réputation de « céréale des pauvres », les graines de sarrasin sont riches en nombreux éléments : protéines, fibres, antioxydants, minéraux, vitamines. De plus, il ne contient pas de gluten, intéressant pour les intolérants à cette protéine présente dans beaucoup d’autres céréales.

  • Il est local.

Le sarrasin français, vendu et consommé là où il a poussé, est un bel exemple de démarche locavore.

Le sarrasin, du champ à la galette

Le sarrasin se retrouve dans les cuisines du monde entier où il est consommé en graines grillées (la kasha) ou nature décortiquées (comme le couscous ou le riz), en bouillie, en pâtes (les soba, sortes de spaghetti japonais). En France, il est connu avant tout pour sa farine dite de blé noir avec laquelle on confectionne les fameuses galettes bretonnes qui font aujourd’hui le régal des touristes comme des locaux.

Fabrication d'une galette sur une billig - Le blog du hérisson
Fabrication d’une galette sur une billig ©Destination Rennes / Julien Mignot

La pâte de la galette de blé noir (ainsi nommé en référence à sa teinte grisâtre) est composée de farine de sarrasin, d’eau, de sel (et éventuellement d’un œuf pour lier). Cuite sur une plaque en fonte graissée très chaude (la billig en breton), la pâte doit être rapidement étalée à l’aide d’une sorte de petit râteau (le rozell) pour être la plus fine possible. La galette de blé noir a une longue histoire puisque son existence remonte au Moyen-Âge. Jusqu’au XIXème siècle, elle se mange nature, souvent trempée dans du lait. Puis elle se garnit d’une saucisse ou de jambon, d’un œuf, de fromage : la fameuse « complète », à la carte de toutes les crêperies bretonnes. Peu à peu se sont ajoutées des garnitures de plus en plus variées, originales et exotiques.

La galette porte ce nom en Haute-Bretagne (la partie est, non bretonnante de la Bretagne) tandis qu’on l’appelle crêpe de blé noir en Basse-Bretagne. Quant à la crêpe de froment, composée de farine de blé, garnie d’ingrédients sucrés, elle tient lieu de dessert.

Les deux se dégustent (accompagnées d’une bolée de cidre, bien sûr) dans des crêperies, véritables institutions de la culture bretonne (et de Montparnasse !). Pourtant, la crêperie en tant que restaurant est une invention relativement récente. Pendant plusieurs siècles, crêpes et galettes (les krampouezh) se préparaient à la maison ou s’achetaient à emporter, l’ancêtre de la street food finalement.

Ainsi, cela fait maintenant des siècles que le sarrasin ou blé noir est indissociable du paysage de la Bretagne et de sa culture. Malgré les aléas de son histoire, cette plante tient encore et toujours une place unique dans l’identité de ce terroir et de cette terre au caractère unique.

Véronique Hamon

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *