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Musées 3.0 : créateurs de selfies à liker

Connaissez-vous ces endroits conçus pour capturer avec votre smartphone un instantané de la vraie vie dans des décors 100 % fake ? Dans ces « musées » d’un nouveau genre, ne cherchez pas de tableau de maître : le seul chef-d’œuvre, c’est VOUS ! Avec leur scénographie de carton-pâte, ces nouveaux temples de l’autoportrait numérique séduisent les millennials et les investisseurs conquis par un concept marketing rentable. Investir dans le business des musées 3.0, créateurs de selfies à liker, c’est la garantie d’attirer les milliards d’utilisateurs des réseaux sociaux tels qu’Instagram, Snapchat ou Tik Tok, en quête de pouces levés. En taguant le nom de ces endroits éphémères, les visiteurs assurent directement leur promotion. Est-ce un simple phénomène de mode ou un concept voué à perdurer ? À vos smartphones. Prêts ? Hashtaguez !

Musée 3.0 : créateurs de selfies à liker - Le blog du hérisson
©Violaine Berlinguet

Des lieux éphémères pour se photographier

• L’engouement des millenials pour ses temples de l’autoportrait

Le Museum of Selfies de Glendale est le premier temple de l’autoportrait, ouvert au printemps 2018. Fondé par Tommy Honton et Tair Mamedov, respectivement concepteur d’escape games et humoriste, ce lieu de 745 m2 a pour vocation de retracer l’histoire du narcissisme plastique. Le visiteur commence son immersion dans une reconstitution de la célèbre chambre de Van Gogh à Arles, « hommage » au peintre auteur d’une quarantaine d’autoportraits. Il y redécouvre aussi les selfies du macaque Naruto qui s’était tiré le portrait avec l’appareil du photographe animalier David Slater. Pour révéler l’apparence muséale du lieu, les murs s’enrichissent de quelques statistiques où l’on apprend entre autres que les femmes sont plus friandes de clichés que les hommes. Surtout conçu pour gagner des likes sur les réseaux sociaux, l’endroit offre l’opportunité unique aux millennials de poser aux côtés d’une statue imitant le célèbre « David » de Michel-Ange, un smartphone rose à la main. On s’immortalise sur une spectaculaire reproduction du trône de fer de la série Game of Thrones réalisée à partir de perches télescopiques. Clic, clac, like ! L’expérience a dû jouer les prolongations aux vues de l’engouement suscité.

• Des décors très sweets pour un tarif d’entrée acide

En décembre 2018, Lilla Gangel et Balazs Koltai importent le fabuleux concept en Hongrie en créant le Sweets & Selfies museum à Budapest. « Nous jouons avec les formes, les couleurs, et essayons de repousser les limites des visiteurs pour qu’ils laissent libre cours à leur créativité », expliquent-ils. L’établissement, à défaut de présenter des objets rares et précieux, promet de vivre des expériences ludiques régressives :

  •     s’asseoir sur une fraise géante ;
  •     saisir un tea time en suspension ;
  •     faire de la banane-balançoire ou du toboggan ;
  •     plonger dans une immense piscine de perles.

On déambule dans des décors extravagants et l’on prend la pose devant des rideaux de bananes fluo, d’énormes faux palmiers et peluches en flamants roses. L’univers est similaire à celui proposé dans la Cali Dreams à Düsseldorf et son ambiance Pink Paradise ou le Supercandy Pop-up Museum de Cologne, inondés de ballons bubble gum. Tout est très sweet sauf le tarif d’entrée : compter en moyenne une vingtaine d’euros par personne pour une dizaine de photos instagramables seulement… Heureusement, la féérie de ces royaumes de plaisir compilant souvenirs d’enfance et fantasmes inassouvis permet d’oublier l’acidité du prix de cette furtive expérience. Certains choisissent même ces décors insolites pour faire leur demande en mariage ! La Selfie Factory à Londres, studio de photographie temporaire installé à Westfield l’un des plus grands centres commerciaux d’Europe, propose le même concept : des agencements de scénographies fun et délirantes pour s’amuser une heure, actualiser son fond d’écran et récolter des likes. Son propriétaire de 26 ans, Will Bower, vend un programme anti-morosité : baignoire à balles roses et confettis, mur de donuts, ours en peluche XXL et salle de restaurant typique des années 50, dans l’esprit du film Grease.

• Surfer sur la food pour attirer les gourmands

Star des réseaux sociaux, la food est une valeur sûre. Poser avec ses propres créations gourmandes, c’est alléchant, et lucratif pour ceux qui l’utilisent comme emblème. Le Museum of Ice Cream (MOIC) où se sont pressés Beyoncé, Kim Kardashian ou David Beckam, exploite la crème glacée comme étendard pour attirer les gourmands. Pour une trentaine d’euros, le visiteur accède à huit salles offrant bar à milk-shake avec sol en paillettes dorées, piscine de vermicelles multicolores et murs entièrement recouverts de bâtonnets de glace. Galvanisée par le succès, la propriétaire de 25 ans, Mary Ellis Bunn ambitionne d’ouvrir à terme 180 musées 3.0 dans le monde. Elle rêve de devenir le nouveau Disney, qu’elle ne trouve plus adapté à sa génération, qu’elle qualifie d’impatiente et friande de mise en scène sur les réseaux. L’agence Nameless Network et son Museum of Pizza, ouvert à l’automne 2018 à New-York, a choisi la pizza pour fédérer les addicts autour de ce symbole universel culinaire. Avec son smiley jaune, La Happy Place à Las Vegas et Philadelphie, promet de rendre heureux. Le programme met l’eau à la bouche :

  •     Selfie dans un appétissant cookie géant ;
  •     Dégustation de croque-monsieur avec fromage aux couleurs de l’arc-en-ciel ;
  •     Immersion dans une boule à neige remplie de confettis multicolores.

Des collaborations artistiques pour étoffer le concept

Pour les sceptiques qui jugent l’expérience peu éducative, voire complètement vide de sens, certains établissements collaborent avec des artistes contemporains reconnus pour valoriser leur concept. Le Wndr de Chicago, installé dans l’Illinois en 2018, « réinvente l’expérience traditionnelle des musées en vous invitant à puiser dans la curiosité et l’esprit ludique qui règne en nous et autour de nous ». Avec L’Infinity Mirror Room, de la célèbre et excentrique artiste japonaise Yayoi Kusama, le selfie se veut artistique. La salle dont les murs sont entièrement recouverts de miroirs reflète des bulles d’argent, d’apparence en suspension, invite à la poésie. On se joue de la perception du public en le transportant dans une démonstration visuelle graphique fascinante. Souvent plagiée, l’artiste limite désormais le temps autorisé dans ses nouvelles installations pour lutter contre les selfies !

Conçu en collaboration avec plusieurs designers, le musée Pop-up Smile Safari en 2019 à Bruxelles propose les mêmes tableaux ultra-instagrammable, avec illusions d’optique pour tenter de lier art et selfies. Le lieu aux allures de parc d’attractions, qui comptabilisent plus de 25 000 visiteurs en trois mois, semble témoigner de la réussite du concept. Ces musées 3.0 atypiques devraient se multiplier dans les prochaines années, car tout le monde veut dans son smartphone des photos qui les valorisent, prises dans des décors psychédéliques. Cependant, l’épidémie mondiale de COVID-19 va certainement inverser la tendance. Pendant le confinement, le Getty Museum de Los Angeles avait lancé un défi sur les réseaux, mêlant culture et fun : reproduire les plus grands chefs d’œuvres avec des objets de la maison. Les photos obtenues étaient parfois saisissantes de ressemblance avec le tableau original.

Si l’art s’invite à domicile et que le masque tend à devenir obligatoire dans les lieux publics, ces endroits éphémères clos attireront-ils toujours autant ? Si vous voulez découvrir ces lieux mirifiques (avant leur probable extinction), rendez-vous au musée MAD Dimension au Manoir de Paris jusqu’au 20 septembre. Plusieurs tableaux inspirés de l’univers de Walt Disney, Tim Burton ou Lewis Carroll y sont actuellement présentés. Adeptes des égoportraits ou des duckfaces, prenez tout de même garde à ne pas tomber amoureux de votre reflet et subir la même fin tragique qu’un certain Narcisse…

Etes-vous partant pour visiter ces nouveaux musées 3.0 ?

Violaine Berlinguet

Musées 3.0 : créateurs de selfies à liker

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